Il est de notoriété publique que Sufokia, à la différence des autres archipels, est principalement composée de plages et de jungles. Les ponts marchands sont des constructions massives qui s'élèvent au dessus des eaux, ce qui n'empêche pas les vagues de venir régulièrement en inonder les bords. Les tourments de la mer les aurait déjà emporté si ils n'étaient pas fait de blocs de pierres immenses, cubiques et massifs qui datent d'avant le Chaos. Les architectes de la nouvelle Sufokia ont tenté de se les approprier, mais dans certains quartiers, le résultat rappelle plus un aggloméra aléatoire de cubes qu'une construction organisée. Par dessus cette chaussée, les constructions étaient faite de bois, de pierre de corde, le tout recouvert de soieries. Ici, un bloc dépassant de trop servait de mur. Là, la route perdait une demi-coudée soudainement. De temps à autre, une vague passe par dessus la pierre pour se perdre dans les interstices des cubes. Des pont de bois et de cordes reliaient parfois deux quartiers, rétractables d'un côté ou de l'autre.
Le département national de l'immigration était une construction à seulement deux étages, mais dont l'agencement de la base laissait supposer une cave. Evayn se mêla à la foule qui attendait à l'entrée. Elle s'était renseignée, les archives de l'immigration y était stockées. En tendant l'oreille, elle apprit tout et rien. Bonta et Sufokia se réjouissaient de leurs accords commerciaux. Le nouvel Écologiste est poursuivi pour un vol commis dans sa jeunesse. La taverne du Pichon avait vu les prix de ses repas baisser d'un tiers, c'était une occasion. Un sergent de la Garde du port s'était marié avec une indigène de la jungle. Les plats cuisinés de Bonta sont bien meilleurs que ceux de Sufokia; mais non, ceux de Bonta sont trop fade. Les employés des services de l'immigration sont teigneux. L'ambassade d'Amakna avait été transformée en ateliers mécaniques. Le Zaap de Tonkult avait eu des ratés quelques jours plus tôt; oh, étrange, celui du QG d'Amakna aussi; tiens, idem pour les ponts marchands de Sufokia. Pas fiable ces machins, mieux vaut marcher que remettre sa vie entre les mains de ces bidules. Bonta voulait déclarer la guerre à Amakna, ou Brâkmar. Luen aurait fait un bien meilleur Gouverneur. L'eau commençait à stagner sur ce pont marchands.
La file se mit enfin à avancer. Une bonne partie de la journée s'était écoulée avant que la crâ n'atteigne la porte de bois humide. Lorsqu'enfin elle atteint les guichets, les employés baillaient. Affichant un air décidé, elle s'avança à son tour :
«Qu'est qu'elle veut la p'tite dame, demanda le vieil homme d'un ton grincheux derrière son guichet.
-Je dois accéder aux archives.
-Veuillez remplir le formulaire six cent quatre et me montrer votre insigne.
-Mais...
-Elle est gentille, elle remplie.»
Agresser ce vieil homme ne l'avancerait pas, pas plus que se faire arrêter pour contrefaçon.
«Votre insigne madame, fit-il de sa voix traînante.
-À vrai dire...
-Sans insigne pas d'accès.
-Il doit être chez moi...»
Le vieil homme fit tinter une clochette. Deux Gardes vinrent aussitôt et expulsèrent la scientifique.
Elle commençait à étudier une éventuelle intrusion lorsqu'un objet de sa ceinture se mit à émettre un son aigu et régulier. Elle le sortit avant de se retirer dans un coin discret. C'était un communicateur steamer que Bahamer leur avait donné, à Miss Étincelle et elle. Le boîtier était à peine plus gros que son poing mais marchait très mal sur de longues distances :
«J'écoute.
-Int... Retr... Grou... ppé... eux...»
Evayn sortit un anneau fait de fils entrelacés, le passa à son doigt et le colla au communicateur. Une toute petite lueur bleutée coula de l'anneau. L'objet de métal l'avala goulûment.
«...othèque.
-Je viens de charger le communicateur avec mon aura. Tu peux répéter avant que je ne m'effondre?
-Le groupe m'a échappé. Il n'en reste qu'un, avec le Slek. Ils vont à la Foire. Un livre manque à notre bibliothèque. L'essai sur la genèse éliatrope. L'original est à Sufokia.
-Compris.»
La scientifique enleva aussi vite que possible le catalyseur qu'elle portait au doigt. Elle regarda sa main. Elle tremblait. Sans le vouloir, elle s'assit par terre. Nourrir la communication lui avait coûté beaucoup. Elle trouva un restaurant non loin et pris un copieux repas tout en réfléchissant.
Bahamer avait eu besoin du livre. Le livre de la Genèse. Pourquoi? Il ne parlait que d'un vieux mythe. Un mythe qui parlait des Forces originelles. Le...
La lumière se fit soudain dans son esprit. Le seul étranger ayant accédé à la bibliothèque était le jeune intrus qui avait refusé de lui casser son arc. Et il maniait une Énergie qu'elle reconnaissait maintenant.
Ainsi, les Forces Oubliées étaient sorti de leur sommeil...
La pluie ruisselait sur sa peau si douce. Les gouttes se perdaient dans le sol boueux. Les pavés soufflés par l'explosion s'enfonçaient dans le sol. Le ciel pleurait et ses longues larmes inondaient le visage ruisselant de tristesse. Ses grands yeux bleus étaient bordés de chagrin. Les perles d'émotions emplissaient ses yeux et se même mélangeaient à la pluie. Le ciel pleurait, et elle pleurait.
Miss Étincelle s'agenouilla tout doucement par terre. Il ne restait plus rien de Well. Plus rien à l'exception d'une Tyge Hybon brisée en plusieurs endroits. Ses doigts soyeux caressèrent la terre. La boue coula dans sa main. Rien d'autre que la baguette.
La barrière de ses émotions se rompit pour de bon. Les larmes coulèrent de plus en plus vite sur ses joues. Elle eut envie de s'arrache les cheveux. Mais Well les avait tant aimés... Well. Les souvenirs affluèrent, telles des flèches aussi douces que douloureuses.
Son arrivée à l'université. Elle ne connaissait personne. Elle avait déjà goûté à la sensation grisante de sentir une âme coulait vers elle. Elle oscillait entre ses natures. Et puis... C'était le premier jour du printemps. Elle n'était là que depuis trois ou quatre jours et elle penchaient de plus en plus dangereusement vers sa mère. Et soudain, leur rencontre. Elle se promenait dans le parc en écoutant les oiseaux chanter pour les imiter. Et il était là. Allongé contre un arbre, somnolant. Ses affaires étaient déballés autour de lui, comme s'il s'était assoupi au milieu de son travail. Un sourire apaisé décorait son visage. «Mignon, celui-là. Riche?» s'était-t'elle dit. Elle avait fouillé dans ses affaires. Un coucou avait chanté. Elle n'avait trouvé que des cahiers remplis par une écriture méticuleuse. En pestant, elle s'était relevé. Un jardinier venait lui demander de s'écarter pour enlever le coucou. Un oiseau qui vole les nids des autres... Well s'était réveillé. Il avait regardé Miss Étincelle, lui avait souri gentiment en voyant un visage nouveau et si agréable. Elle fixait le jardinier qui avait eu l'audace de lui demander de s'écarter. Et il lui avait murmuré au creux de l'oreille, sans qu'elle ne le voit venir :
«Ne lui en voulez pas. L'harmonie de ce jardin lui tient à cœur. Les coucous n'ont rien à faire ici. Ils ne savent qu'amener le désordre là où l'ordre et la beauté règne.»
Sans qu'elle ne le remarque, elle venait de répéter ces mots. Ce jour là, à cet instant précis, elle avait compris. La beauté est l'ordre, l'harmonie. Sa nature ne devait pas la corrompre. Elle détruisait là où elle se vantait de créer ou de soigner. Ce jour-ci, à cet instant, elle avait découvert l'esprit de Well. L'ordre. L'harmonie. La douceur. La beauté. La perfection. Pour la première fois, elle avait ressenti cet amour dont tant lui avaient parlé.
Leur premier baiser avait eu lieu sous ce même arbre. Après des mois de cour assuidu, la belle avait enfin accepté de se laisser emporter. Elle pouvait revoir toute la scène. Elle l'attendait. C'était leur premier rendez-vous. Enfin, leur premier où elle était prête. Well s'était montré aussi doux et attentionné que durant tous ces mois. Sinon plus. Leurs visages s'étaient tout doucement rapprochés sans qu'ils ne le remarquent. Un brasier avait chauffé tout son corps. Une nouvelle force avait coulé en elle. Et ce n'était pas celle de l'homme qui allait l'embrasser mais l'amour. Doux et si fort. La mèche argentée de Well qui glissait sur son œil. Leurs battements de cœurs qui s'accéléraient. Leurs yeux qui se fondaient l'un dans l'autre. Son souffle sur son visage. Tout ces petits détails revenaient. L'onde qui avait secoué chacune de ces cellules au contact de leurs lèvres. L'amour qui coulait en elle. La perfection de cet instant éternel. Elle se souvenait avoir fermer les yeux, de peur de se réveiller si elle les rouvraie. Ils s'étaient séparés comme à regret. Leurs yeux brillaient. Well et elle avaient rougis. L'éniripsa était sûre d'avoir glissé une main dans ses longs cheveux blonds en souriant bêtement. Il avait voulu dire quelque chose. Elle lui avait rendu son baiser.
Leurs rendez-vous successifs. Leur bonheur si simple. La force de tout renverser. Tous ces projets. Les blagues coupées par leurs bouches. Tout ce que l'autre faisait leur semblait une merveille. Ils couraient l'un vers l'autre tous les jours. Leurs promenades main dans la main en parlant de tout et de rien, juste pour regarder l'être aimé. Leur bonheur presque enfantin tant il était pur et infini.
L'ardeur de leur première nuit. La volupté des suivantes. Leurs baisers toujours inédits. Son étreinte si forte et rassurante. La douceur de sa peau. Les fines lignes de ses muscles. La douceur de ses mots. La plénitude de leur union.
Son baiser le jour de la remise des diplômes. Les regards nostalgiques de la foule face à un couple si beau. La naissance de leur fils. Sa présence, à ses côtés, toujours. Toujours. Ils adoraient se le répéter. Toujours avec toi. Toujours.
Well l'avait sauvé. Et elle l'avait tué.
Elle comprenait maintenant qu'elle l'avait tué. Elle comprenait que ce n'était pas que la faute de Colette. Elle n'aurait pas dû partir. Elle avait été trop sûre, pas assez prévoyante.
«"Les coucous n'ont rien à faire ici. Ils ne savent qu'amener le désordre..." Il n'avait pas tort, fit une voix enfantine.»
Miss Étincelle tourna la tête. Un éniripsa d'environ 9 ans se tenait à sa droite. Ses ailes étaient faites de plumes d'or. Elle caressa la Tyge, et tout les autres souvenirs, puis la déposa très délicatement sur le sol.
«C'est Éniripsa qui t'envoie?
-Oui. Elle veut te parler.
-Qu'elle le ressuscite et je ferai tout ce qu'elle voudra.»
L'envoyé de la Déesse rit de sa voix innocente :
«Ce qu'elle veut c'est ta mort, bâtarde.»
L'éniripsa si envoûtante se releva et toisa celui qui avait l'air d'un gamin :
«Raziel. Éniripsa et toi n'avez toujours pas compris que tu n'étais pas de taille, demanda-t-elle la voix prise de chagrin.
-Tu as tué tellement de personnes, se plaint le garçon sans se soucier de la question. Well n'est qu'un nom sur une longue liste. Tourne la tête de l'autre côté. Tu vois ce couple? Ils n'avaient rien à faire dans ce combat. Et pourtant, tu les as charmés pour en faire un bouclier.
-Non, s'étrangla la belle.
-Ils avaient des rêves, des projet, des amis, des parents, des sœurs, des frères, un bonheur, une vie. Et en un instant, sans sourciller, tu as tout détruit.
-Non...»
L'enfant se mit sur la pointe de pieds pour être à la hauteur de l'autre :
«Well t'avait sauvé et tu l'as détruit. En replongeant dans ta nature obscène, bâtarde, tu as anéanti ses espoirs et les nôtres.
-Tais-toi!
-Tu détruis tout. Tout. Tu n'amènes que le désordre.
-Raziel, supplia-t-elle.
-Tu avais eu une seconde chance. C'est fini.»
La superbe éniripsa lui sourit d'un air absent. Ses larmes coulaient toujours. On aurait dit qu'elle devenait folle.
«Sauvez-le, et je meure.
-Du sacrifice maintenant, se moqua Raziel. Et tu crois que ce te rend bonne?
-Sauvez-le!.
Un sourire narquois se forma sur le visage de l'être éthéré :
«Inutile, tes charmes n'ont pas d'effet sur moi. Mais d'accord. Si tu meures, Éniripsa veut bien le ramener.
-Je veux le voir en vie!
-Tu n'as même plus confiance en Elle?
-S'il te plaît Raziel...
-Non. Dépêche-toi, ou elle ne le sauvera pas de sa folie.
-Très bien.
-Ton artéfact.
-Quoi?!
-Éniripsa veut ton artéfact. »
L'artefact. Miss Étincelle regarda le collier qu'elle avait en main. Well le lui avait offert sans connaître sa vraie nature. Elle ne savait pas où il l'avait trouvé mais elle avait fini par comprendre sa nature, un artéfact de la Quatrième Force. Coïncidence qu'il l'ait trouvé elle ne savait où pour lui offrir l'arme de son trépas?
Un éclair retentit au loin. Son écho illumina l'esprit de la belle. Ce fut à son tour d'éclater de rire. La stupéfaction, le mépris et la colère se mêlèrent dans ce rire. Raziel tendit la main. Miss Étincelle fixa l'horizon en déclarant stupéfaite :
«Tout ça pour ça... Bien tenté Raziel. Vous aviez même réussi à le faire pleurer. La folie de Well n'était pas totalement naturelle, n'est-ce pas? Il n'aurait jamais fait de marque Interdite en pleine possession de ses moyens, n'est-ce pas? Tout comme Colette ne l'aurait pas autant influencé. Bizarre qu'il soit à la Foire le même jour que moi. Bizarre qu'il me croise.»
Elle parlait de plus en plus vite avec l'euphorie de l'élève donnant la bonne réponse tandis que les pièces du puzzle se mettaient en place :
«Deux pierres d'un coup... J'aurais oublié ma vraie nature et pris son collier. Étrange qu'il se soit endormi dans ses notes. Étrange qu'un coucou se soit introduit dans un jardin si bien entretenu. Étrange que rien ne semblait briser notre relation. Étrange que Vadum fut jaloux. Étrange que Well tomba sur un livre traitant des marques interdites. Étrange qu'il était endormi au milieu de ses note, sans raison. Cela fait beaucoup de coïncidence.
-Tu insinues trop et ne réfléchis pas assez ma chérie, rétorqua le gamin en haussant les sourcils bien qu'il fut le plus petit.
-Tout ça pour ça, souffla-t-elle. Éliminer la menace que je représente et s'emparer du collier... Well n'est pas tombé par hasard dessus je suppose. Tout était prévu. Sauf que je tombés follement et réellement amoureuse de lui. Un tout pétrin grain.
-Tu divagues.
-Vous avez tout manigancé, l'accusa-t-elle tandis que ses mots tournaient à la rage. Notre rencontre, son duel, ce cadeau, la rancœur de Colette, sa présence ici, sa folie, tout! Tout ça pour ce collier et ma vie!. Mais pourquoi... Vous fais-je si peur que ça? Ou alors est tout ce que je sais sur cet artéfact qui vous inquiète? Mais non, vous ne pouviez pas prédire la synergie entre lui et moi. Alors quoi?
-Ta mère, répondit Raziel en soupirant comme un gamin qui s'ennuie.
-Ah oui, le remercia-t-elle en le pointant du doigt. Je suis une anomalie. Une erreur. Une abomination. Le dernier possesseur de ce collier était le Déicide. C'était le prédécesseur d'Osamodas qui a pâti de sa puissance si je ne m'abuse? Il avait voulu se mêler de Ses affaires, l'empêcher d'aller cacher ce collier. Et un Dieu ne fait pas le poids face à l'un des Deux oubliés. Ce jour-là, vous vous êtes rappelé l'humiliation d'être surpassé. La honte de ne rien maîtriser. Votre mortalité.
-Le collier, ta vie et il reviendra.
-L'humiliation. L'humiliation. Voilà ce que craignent les Dieux. La honte, leur impuissance et leur fin. L'humiliation.
-Dernière chance.
-J'ai choisi, ricana Miss Étincelle.»
La fleur de Wakfuli du collier si discuté se mit à tournoyer.
«Maintenant, pourquoi moi pour le collier? Facile. Vous aviez pensé avoir compris sa façon de se Lier. Un être rejeté, différent et inaccepté et zou!
-Sauf que tu ne t'es pas Liée. Et tu ne peux donc pas me tuer.»
Un rayon d'Energie Primaire jaillit du collier. L'envoyé divin tenta de le parer. Sa bras gauche fut brûlé par la décharge.
«Je ne peux pas te tuer, mais tiens-tu vraiment à m'affronter?
-Tu as tué Well. Tu l'as séduit, brisé et détruis. Comme tant d'autres innocents. Ta mère serait fière de toi. Songe à tes crimes. Songe à ces innocents.
Raziel disparut. Ses mots résonnèrent longtemps dans l'air. La belle éniripsa s'approcha du bord de la falaise. Elle repensa aux semi-aveux de l'être éthéré. Éniripsa avait tout manigancé. Elle avait joué avec elle, Well et tant d'autres pour éliminer des menaces. La Déesse des Soins et de l'Altruisme, belle ironie. Elle hurla :
«Éniripsa! Eniripsa! Tu m'entends? ÉNIRIPSA! Tu as bien joué! Mais maintenant c'est à moi. A MOI! Et je peux te promettre une chose. Je te tuerai, Éniripsa.. Je te tuerai.
Une brise chargée d'orage se chargea de lui répondre.
Qu'elle vienne donc prétendre au titre de Déicide.
Daniel disparut dans une explosion lumineuse. Il songea à la Foire. Il était de retour dans le tunnel bleu. Les runes tournoyaient sur les murs. Il les comprenait désormais, bien qu'il puisse les lire. Les runes lui dirent qu'il pouvait rester aussi longtemps qu'il le voulait dans le couloir, le temps ne s'y écoulait pas. Il n'avait pas assez d'expérience pour voyager à travers le temps sans passer par la Trame s'il restait sur la même Ligne, mais il pourrait le faire d'ici quelques mois. Il demanda mentalement pourquoi il se trouvait ici. Les runes tournoyèrent de plus en plus vite, comme si elles étaient excitées. Elles voulaient, non elles devaient lui montrer quelque chose. L'avenir du monde en dépendait. Le Porteur s'imagina le cadavre de Victoire. Elle faisait partie du monde, rétorquèrent les runes. Elle survivrait quelque temps au poison. Elle n'aurait pas la moindre chance face à ce que les symboles désiraient lui faire part. Il acquiesça. Il n'avait pas le choix. Il ne voulait pas la sauver pour lui annoncer la fin ensuite.
Sous les yeux verts de l'adolescent, les parois se troublèrent. Les runes s'effacèrent tandis qu'un paysage se formait. Il se trouvait dans une grotte. De petits points lumineux flottaient dans l'air. Il fit un pas en avant sans vraiment s'en apercevoir. Sous ses pieds, un chemin de pierres rondes se mit à briller faiblement. Une à une, les pierres rondes s'illuminèrent. Le chemin se traça au milieu de l'obscurité jusqu'au cœur de la caverne. Le Porteur eut juste le temps de distinguer un arbre gigantesque au milieu de la pièce grâce à sa nyctalopie que celle-ci ne lui servait déjà plus. La lumière jaillit. Elle sortit de nulle part. L'instant d'avant, l'obscurité était totale. L'instant d'après, la lumière était là. Tout simplement.
Le Porteur en eut le souffle coupé. Il cligna des yeux plusieurs fois pour être sûr de ne pas rêver. La caverne était en fait un lac souterrain. Un lac souterrain au milieu du quel, sur une île, se trouvait un arbre immense recouvert de rune draconiques. chacune des branches étaient recouverte de runes de Wakfu. Des milliers, non des millions de petites lumières s'allumèrent une à une et se déposèrent sur l'arbre. Tels des lucioles, elles voletaient autour des branches. Des nénuphars apparurent à la surface du lac pour prolonger le chemin de pierres jusqu'à l'île. L'une des branches les plus basses soutenait un cocon de feuilles et de branches. Les eaux du lac étaient lumineuses et reflétaient le manège des points lumineux. Les berges du lac étaient recouvertes d'herbe et de fleurs aux couleurs variées. Il se dégageait de la caverne une impression de calme qui eut apaisé Daniel si quelque chose ne clochait pas.
Il n'y avait aucun bruit. Pas le moindre son. Aucun animal ne semblait vivre là. Et pourtant, la surface de l'eau était rythmée par des ondes régulières. Elles partaient de l'arbre pour finir sur la berge. Mais pas le moindre son. Il fit un pas en avant, hésitant. Il lui sembla qu'une puissance phénoménale pesait sur cet endroit. Un autre pas. Il finit par arriver au bord du lac. Une impression de danger émanait de l'arbre. Comme si Daniel se trouvait au cœur d'une plante carnivore qui n'attendait qu'un pas de plus pour se refermer. Le Porteur analysa l'arbre sous toutes ses coutures. Il se concentra pour utiliser la vision dont il s'était servi dans la taverne. La grotte était baignée d'énergie. Elle irradiait l'énergie. Chacun des petits points lumineux contenait à lui seul autant d'énergie qu'un homme adulte. En les étudiant de plus près, il s'aperçut que certains en contenaient un peu moins, comme s'ils étaient malade; d'autres, au contraire, resplendissaient l'énergie de la jeunesse. L'immense arbre contenait encore plus d'énergie. Daniel ne pouvait le fixer sans être aveuglé. Il recelait au moins autant force vitale que tous les points lumineux réunis.
Il se trouvait devant l'Arbre de Vie Sadida.
Une silhouette apparut à ses côtés. Une vague d'Énergie encore plus intense que l'Arbre de Vie balaya la pièce. Il ne L'avait rencontré qu'en rêve, mais il Le reconnut immédiatement. Son Énergie, encore plus que Ses vêtements, L'identifiait sans doute possible. L'Espoir.
«Que fais-je ici, demanda Daniel.
-Tu viens collecter une dette voyons, répondit le Quatrième.
-Une dette?»
Une poupée sadida émergea de l'arbre. Le danger et l'antipathie du sanctuaire y prenaient leur source.
«Ah, Sadida, reprit le Pourfendeur de Tyrans.»
Instantanément, Daniel eut l'impression qu'un étau cherchait à broyer son crâne. Le sol se mit à trembler. L'Ultime soupira. Il braqua son regard sur la poupée.
«Oui Daniel, cette poupée est l'Arbre de Vie. Elle a la puissance d'un Dieu, ou presque. Bref, rien de très dangereux pour nous.»
L'étau se dissipa. L'ami de Victoire s'aperçut qu'il avait convoqué Ösrigur pour se défendre. Le Juge des Douze lui murmura à l'oreille :
«La prochaine fois, je t'apprendrai à repousser ce type d'assaut.»
Il reprit plus haut :
«Attends un peu avant de nous attaquer. Tu as une dette envers moi, Sadida.
-Quelle dette, s'enquièrent en même temps Daniel et une voix sortie de nulle part que le jeune identifia comme le dieu évoqué.
-Il y a très longtemps de cela, tu as eu besoin de moi. T'en souviens-tu? Oui, j'en suis sûr. Les autres Dieux veulent ma mort, mais toi? Tu sais que Je suis la Force qui anime le Krosmoz et qui l'empêche de couler vers l'Oubli. Tu sais bien que je suis l'Espoir. Je suis ce qui reste à la vie quand tout le reste a disparu. Au fond, tu le sais. Et tu ne Me veux pas de mal. Tous les deux, nous voulons le bien de ce monde. Je t'en prie, ne te laisse pas emporter par la peur comme tes confrères. Je ne désire pas vous tuer. Je ne nie pas l'avoir fait, mais ce n'est pas Mon but. Toi et Moi, nous voulons la même chose. La vie. Tu insuffles l'étincelle, et Je suis le brasier qui l'anime. Tu offres la vie et Je lui donne un sens.
-T'aiderais-je pour autant, gronda la voix de Sadida.»
Le Père des Dieux s'avança sur les nénuphars qui s'ouvrirent pour le laisser passer sur l'onde.
«C'était il y a très longtemps de cela. Les Dieux étaient encore jeunes à l'époque. Les débuts du monde des Douze. Une légende en parle encore. Ne m'en veut pas de ne pas user des mots consacrés, je te la conte tel que Dathura me l'a conté et telle que ma mémoire s'en souvient. Au début de ce monde naquit une poupée. Cette poupée était animée par une forme d'Énergie inédite qui lui donnait le pouvoir de penser. Qui l'avait conçu? Nul ne le sait. La poupée vogua à travers le monde des hommes sans trouver d'accroche. Jusqu'à ce jour funeste où elle trouva un poupon abandonné. Elle se prit d'affection pour lui et lui la prit pour sa mère. Qui était sa vraie mère? La légende n'en dit rien. Ce qu'elle dit c'est que les Hommes haïrent la poupée pour avoir secouru l'enfant. Ils s'enfuirent dans les montagnes, dans les plus hautes montagnes du monde. Et là, loin des Hommes, au milieu de la glace et du vent, sous la tutelle de la poupée, l'enfant grandit. L'enfant grandit très vite. En moins d'un mois, il se paraissait à un enfant de cinq ans. Et dans l'obscurité gelée de leur grotte, sa faim grandissait. Il s'enfuit et rejoint le village le plus proche. Il avait faim. Sa puissance maléfique jaillit au grand jour. Il était plus fort que les meilleurs des chasseurs des montagnes. Ce village ne le rassasiât pas longtemps. Il descendit des cols escarpés. Le bruit courut vite que la nuit un monstre dévorait les enfants. Le bruit devint une rumeur. La rumeur enfla et enfla. Elle atteint les oreilles des Dieux, qui n'étaient que neuf à l'époque.
-Oui, je m'en souviens...
-Il tombèrent d'accord. Il fallait éradiquer la bête. Et c'est toi, Sadida, qui te porta volontaire. Les légendes divergent sur ton combat. Voici la vérité vraie. Tu trouvas la poupée. Elle suivait le monstre qu'elle avait élevé. Elle te proposa un échange. Tu la laissais tenter de raisonner son fils et en échange elle te menait à lui. Tu acceptas. Le lendemain, sur l'un des pics les plus isolés, elle te l'amena. La poupée ne t'avait pas menti. Elle tenta de calmer la bête. Mais celle-ci se comprit trahie. Et aucune des supplications de celle que le monstre avait cru être sa mère ne put le calmer. Tu n'attendis pas plus. Tu déchaîna ta puissance sous les cris de la poupée. Les ronces percèrent la glace. L'air s'emplit de toxines. Rien n'y fit. Le monstre se moquait de tes coups. Alors, plongeant dans les arcanes les plus noires de ta magie, tu pénétras son âme pour la scinder. Sa noirceur te figea. Il n'y avait rien dans ce corps bestial. Rien que du Néant. Tu compris que tu ne ferais jamais le poids. Ni toi ni les autres Dieux. La bête en profita pour agresser la poupée. Ce fut la goutte d'eau pour toi. Usant d'un sortilège oublié de tous sauf des Dieux, tu M'appelas. Tu Me convoquas et Me demanda de t'aider. Tu juras de Me rendre ce service. Les autres Dieux t'auraient haï pour cela. J'acceptai. Combinant nos dons, nous immobilisâmes la bête. Nous plongeâmes dans son esprit. Je repoussais le Néant tandis que tu scindais la bête. Tu pris trois masques des roches alentours que tu peins avec nos sangs croisés. Tu y enfermas la bête et scella le sort avec une amulette que tu confias à la poupée en lui faisant croire que c'était tout ce qui restait de son "fils".
-Et je fis garder les masques dans leur grotte par un Yech'Ti créé à partir de mon essence et de mes poils.
-Mais le Yech'Ti oublia sa tâche. Un forgeron passa par là. Il récupéra les masques. Les travailla. Les masques se multiplièrent. La légende devint un mythe. Le mythe une genèse. La genèse zobale.
-Je ne le sais que trop bien.
-La poupée survécut. Elle était profondément blessée, autant dans son corps que dans son esprit. Otomaï la nomma Dathura et la répara. Ogrest en tomba fou amoureux. L'amulette se perdit. Elle fut fondue et jointe à l'Aiguille dont Xélor s'empara. C'est une autre longue histoire. Tu as une dette envers moi. Je t'avais aidé, à ton tour. Laisse-nous utiliser les yeux de l'Arbre de Vie.
-Tu as attendu longtemps avant de venir la réclamer.
-Mais me voilà.
-Te voilà. J'accepte, mon ami.
-Puisses-tu donc considérer ta dette comme accomplie, mon ami, accepta le Quatrième d'un ton solennel en souriant d'un air un peu surpris à l'évocation du nom que le Dieu lui avait donné. Marche en paix.
-Merci.»
Une légère brise aux effluves fruitées parcourut la salle. La poupée de l'Arbre de Vie s'écarta. L'Espoir invita Daniel à le rejoindre aux pieds de l'Arbre :
«L'inconvénient de nos moyens de voyance, c'est que ceux que tu dois voir réagissent violemment à la présence de mon Énergie. En passant par les yeux d'un sadida ou par ceux d'un arbre, nous contournerons ce défaut.»
Il lui fit signe de s'assoir en tailleur avec lui. La poupée de l'Arbre de Vie ferma le triangle. Le Porteur ferma les yeux et respira le parfum apaisant que Sadida avait laissé. En face de lui, le Quatrième jouait avec une lumière entre ses doigts. Il finit par l'attraper et la tendit à Daniel :
«Commençons par Ätrestegömmundg.»
Les Havre-Mondes sont des merveilles magiques, bulles capables de contenir toute une région. On a depuis longtemps oublié leur origine. Certains prétendent que ce sont des dons d'Énutrof, au même titre que les Havre-Sacs. D'autres soutiennent que ce sont des œufs de dragons qui n'auraient jamais éclos et se seraient vidés de tout sauf de leur magie. Des xélors avaient voulu démontrer qu'il s'agissait d'une faille dans l'espace temps et avaient tenté de les pénétrer sans user du portail; on les a retrouvé dans un tout autre havre-monde, leurs dons temporels cautérisés à jamais.
Quelque soit leur origine, plusieurs faits sont communément acceptés : ils sont de taille et de forme identique à l'extérieur, variables à l'intérieur. Certains ne dépassent pas la taille d'un champ là ou d'autres pourraient englober une île comme Katrepat. De l'extérieur, il est possible de fortifier l'accès au portail ou d'y installer un péage. Par contre, tous les experts ayant tenté de travailler sur le portail en lui-même ont échoué. De l'intérieur, les ressemblances sont moins flagrantes. Ils ont certes tous plus ou moins la même forme, un chemin issu du portail menant vers une zone mais si une de ces zones poignée est entourée de hauts remparts dont les blocs valent ceux des ponts marchands de Sufokia, ces remparts naturels entre la terre et le vide se limitent à des barrières ou des murets dans le reste. La magie n'y est pas aussi simple dans tous : on admet qu'un bon quart des havre-mondes est hostile à la magie et complique sévèrement sa pratique. On considère aussi que tous les Havre-Monde ont une météo particulière et donc qu'aucun n'a le même climat. Ces spécialités climatiques vont de "l'instant éternel" (expression signifiant que la météo ou le soleil ne varient jamais, par exemple le crépuscule éternel ou le blizzard éternel) au "climat éclair" (le havre-monde change radicalement de climat plusieurs fois par heure) en passant par les "paysans"(ceux où le climat est modifiable grâce à des offrandes). En outre, l'espace interne des Havre-Mondes n'est soumis qu'aux lois de son possesseur. Enfin, tous les Havre-Mondes, exception aucune, abritent avant même leur découverte des autochtones doués pour la construction nommés Sidoas. Étrangement, et c'est sans doute là la raison du respect qu'on leur donne, seules leurs constructions résistent et ne s'effondrent pas en quelques heures.
Les attraits de l'achat d'un havre-monde pour une guilde ou un particulier extrêmement riche sont évidents : posséder un espace privé, ce que certains gouvernements ne sont pas prêts à céder aisément, y faire construire ce qui sied sans se soucier des lois, y stocker ses richesses, être à l'abri des regards opportuns ou tout simplement multiplier ses propriétés. Ainsi, plusieurs propriétaires de havre-mondes en font payer l'accès en échange de l'utilisation des structures intérieures. La plupart des havres-mondes sont possédés par des guildes ou les gouvernements, qui en usent pour étendre leur territoire et ses attraits ou y bâtir des cités. Dans la catégorie des cités, le plus grand de l'Alpha est connu pour être seul au sommet de la grandeur. Octantis aime également à se vanter d'avoir le plus beau. La plupart des visiteurs admette que les deux se valent dans l'excellence. Là où celui d'Octantis est une vraie forteresse immense et tortueuse abritant les mercenaires de la guilde, celui de l'Alpha n'était à la base qu'une extension des champs de la ville d'origine.
Le havre-monde majeur de la guilde, comme d'autres, avait été acheté pour répondre au problème de manque de place dans la cité mère. Celle-ci, cachée parmi les sommets des plateaux de la Futaie, avait vite due s'étendre sous sa démographie en constante augmentation. La première enceinte finit par n'entourer que le village d'origine, lequel fut remplacé par un cœur militaire et administratif fortifié. La seconde enceinte avait quadruplé la taille de la ville. Mais cette enceinte aussi avait finie par être de débordée par les constructions. Renvoyer les champs à l'extérieur n'avait été qu'une solution temporaire. Les dirigeants décidèrent l'achat d'havre-mondes au lieu de la construction d'une troisième enceinte. En effet, le tracé proposé affaiblissait beaucoup trop la défense de la ville et risquait d'accentuer les différends entre les quartiers des plateaux et les nouveaux de la vallée. Les champs et les habitations des paysans furent déplacés dans les havre-mondes. Plusieurs havre-mondes finirent par être acheté pour loger les arrivants ou délocaliser certains services. Là où certains des terrains demeurèrent des champs immenses ou des auberges de carrefours et salles de fête, quelques uns sortirent du lot sous l'impulsion des dirigeants. Et d'eux d'entre eux, de loin les plus grands, devinrent les seconds cœurs de la cité. Le premier se trouvait sur le Route Croustillante d'Amakna. Le second sur le Pont des Armes de Brâkmar. L'amaknéen bénéficia de plus de fonds que le brâkmarien.
Un élément cependant, changea la donne : un des meneurs, rompant avec la tradition amaknéenne en profitant du désordre suivant le départ de Well, encourageât les membres à vivre à Brâkmar. Logiquement, le second cœur se transforma en le centre de la communauté brâkmarienne de l'Alpha. N'étant pas brâkmariens d'adoption pour rien, ils savaient tout des intrigues et des menaces de la nation. Ils s'introduirent dans le jeu de la politique et y prirent très vite goût. Leur Havre-Monde bénéficia bientôt de plus de fonds que l'amaknéen. Il prit une architecture totalement différente que celui de la nation du pain - lequel était fait pour imiter la cité d'origine à ses débuts, au temps de la première enceinte - et se rapprochait plus d'une cité-état : sur les blasons se mêlaient les couleurs sombres de Brâkmar et les rouages de l'Alpha; on y retrouvait un petit hôtel des ventes, un conseil, un palais de justice, des habitations, des casernes, des champs, un puits, une taverne, une auberge et même des douanes à l'entrée. Ce havre-monde avait la chance de s'étendre sur une surface grande comme le village de Brâkmar, ce qui le plaçait en troisième place des Havre-Mondes les plus grands, après celui d'Amakna (aussi grand qu'Astrub) et celui d'Octantis (plus petit d'une trentaine de mètre carrés). Il était doublement chanceux car, non content d'être immense, il était pourvu de murailles aveugles et droites de pierres massives de vingt mètres de haut qui délimitaient la terre et le vide. Ce rempart originel n'était cependant pas fermé et laissait au niveau de la porte intérieure un espace suffisamment large pour que dix dragodindes passent côté à côté . La porte avait donc été fortifiée : un lac de lave artificiel avait été creusé à son niveau, vers l'intérieur. Le lac était encadré par des remparts plus minces et bas que les originels mais dotés de meurtrières. Un pont de pierre enjambait le lac. À l'extérieur des remparts, il était renforcé d'une barbacane imposante qui liait les deux extrémités de l'enceinte d'origine. A l'intérieur, un pont-vis doublé d'une herse et de deux doubles-portes de bois d'orme achevait le pont de pierre. Si ces fortifications ne valaient pas la rigueur mathématique camouflée du havre-monde d'Octantis, elles assuraient aux soldats de pouvoir y tenir un siège - une fois pleins, les greniers contenaient deux ans de rationnement pour cinq cent soldats au rempart et cent quidams. Il n'avait par contre pas eu de climat paysan mais possédait trois saisons qui s'étalaient sur un ans : le printemps, l'été et l'automne. À l'extérieur, le portail de sol d'entrée de l'univers interne était placé dans le hall d'un bâtiment appartenant à la guilde.
Depuis quelques jours, ce havre-monde fourmillait d'intrigues. En effet, la destruction du pont marchand amaknéen puis le ras de marée et l'ouragan qui avaient submergé le continent faisaient de ce havre-monde la seule cité de l'Alpha. Les dirigeants amaknéen qui avaient survécu devaient accepter de ployer l'échine en public. Dans l'ombre, ils tentaient de reprendre le contrôle. Les dirigeants brâkmariens les acceptaient de mauvais gré et n'attendaient qu'une erreur de leur part pour les bannir de la guilde dont ils avaient pris le contrôle. La démission de la meneuse - laquelle, sans avoir sur les dirigeants le même pouvoir qu'un Gouverneur sur son gouvernement, décidait de l'orientation globales des décisions et pouvait révoquer un dirigeant de manière exceptionnelle-, Colette, avait décuplé les intrigues. Un nouveau meneur allait devoir être élu. Il fallait s'arranger pour qu'il soit de son camp, ou qu'il soit malléable. Le secret presque sacré des hautes-sphères n'avait pas réussi à cacher qu'elle avait laissé une dernière directive pour le moins surprenante avant de se fondre dans l'ombre. Les rumeurs allaient bon train sur l'identité du nouveau meneur. Rhigalt était pressenti en tant qu'ancien bras droit. Cependant, une rumeur prétendait qu'il était la cause du départ de Colette. Certains juraient même avoir vu la Princesse lui tirer dessus durant le chaos du bal. Les amaknéen étaient exclus d'avances, il ne leur restaient plus qu'à négocier une alliance en échange de leurs votes. Quelques dirigeants brâkmariens comptaient s'allier pour passer puis mieux s'entredéchirer ensuite. Un ou deux étaient en tête de liste et devançaient l'ancien bras-droit. Des ragots prétendaient que l'ancienne compagne de Well, Miss Étincelle, comptait en profiter pour revenir : pour faire taire ces farceurs, il avait été officiellement rappelée qu'elle avait été bannie et que pénétrer sur ce territoire équivalait pour elle à la peine de mort. Les votes avaient lieu dans deux heures : chaque dirigeant contrôlant les voix des membres ayant fait leur apprentissage sous leur juridiction ou celle d'un de leurs apprentis, les brâkmariens étaient dotés de bien plus de voix que les amaknéens dont tous les membres avaient été anéantis.
Tandis que ces ragots couraient dans les rues, au cœur de la salle de justice réquisitionnée pour l'occasion abritait le conseil exceptionnel. Ils délibéraient depuis le matin, sans réussir à obtenir la majorité absolue. Les petits malins qui tentaient d'écouter aux fenêtres n'entendaient rien sinon un éclat de voix de temps à autre. Une atmosphère étrange, faite d'impatience et de murmures, régnait sur la cité. Dans la salle de justice, on complotait. Les dirigeants s'achetaient leurs voix en messes basses et démentait formellement le faire à voix haute. Une telle situation aurait pu être ironique. Pour l'avenir d'une guilde contrôlant une force presque égale à une nation malgré les ruines amaknéennes, c'était effrayant. Effrayant de se dire que se jouait peut-être dans cette le salut d'une nation. Que tous les membres accepteraient ou partiraient. Qu'à un murmure pouvait se jouer l'avenir de la guilde. Il n'y avait rien de comique. Une intense concentration régnait dans la salle. Il y avait là comme candidats Bouloucc, Anacra, Foudris et Phoy en temps que candidats brâkmariens solitaires, Xanécia en temps que représentant de la fronde brâkmarienne et Sclark et Eraydon pour Amakna. Les autres dirigeants ne comptaient pas être élus mais devaient vendre leurs voix Les amaknéens ne purent se permettre de rester diviser et choisirent très vite de s'allier. Les discussions allaient bon train puisqu'il fallait soixante-dix pour-cent des voix pour être élu.
La délivrance vint le soir même. Alors que tout le monde retenait son souffle, les dirigeants sortirent de la salle de justice. Une foule de curieux et d'impatients attendaient devant. Cette foule présentait paradoxalement simultanément l'unité de l'Alpha et sa division, à travers la marée d'uniformes au même rouages mais sur fonds différents. On y retrouvait des artisans, des musiciens, des soldats, des bibliothécaires, des prêtres, des marchands, des traqueurs, des philosophes, des ingénieurs, tout ce qu'une guilde de renommée internationale pouvait posséder. Tous étaient connus dans leur domaine et possédaient un potentiel certain à la renommée. Il était peu probable qu'ils se connaissent tous les uns les autres. Ils étaient trop nombreux et étaient surtout d'origines et de milieux trop différents. Mais ils avaient juré de se venir en aide. Des divisions existaient, mais la présence d'un meneur commun les unissaient. Ce lien pouvait se dissoudre à tout moment et entraîner une scission définitive de la guilde. Depuis l'anéantissement d'Amakna, ses citoyens craignaient cette éventualité. Ils avaient perdu leur force et ne pourraient jamais prétendre refondre une guilde aux mêmes valeurs sans risquer une guerre totale.
Le doyen, Bouloucc, regarda ses confrères dirigeants puis se retourna vers la foule. Il balaya du regard cette masse don l'unité et la force ne tenait qu'à un fil et qui pourtant avait le pouvoir de renverser un gouvernement sans problèmes. Très drôle de paradoxe. Xélor de son état, il fit un signe vers l'horloge murale qui sonna trois coups. La foule s'ordonna et se tue. Il s'avança sur le parvis. Il regarda de nouveau les dirigeants et hocha la tête :
«Le Conseil au complet a tranché. Le nouveau meneur de l'Alpha est...»
La foule retint son souffle :
«Bouloucc, moi-même. Cette décision ayant été prise par le Conseil en respect des règles de l'Alpha, elle prend acte dès maintenant et jusqu'à la démission ou la mort du nouveau meneur.»
Il fronçât des sourcils sous son masque. Au fond de l'allée qui donnait sur la place, la foule s'ouvrait et se serrait encore plus sur les bords. Il fit un signe discrets à des gardes qui partirent vérifier ce qui se passait. Il les regarda disparaître dans la foule avec étrange certitude de ne pas les revoir de si tôt. La masse commençait à se refermait et l'ouverture se reprochait. Exactement comme si quelqu'un la traversait en imposant son autorité. Il reprit les formules consacrés :
«Il n'en reste pas moins un Alpha au même titre que les autres...»
La fente dans la foule disparut. Il comprit trop tard. Rhigalt se rematerialisa au premier rang :
«Et ne devra jamais abuser de sa fonction, termina le Chef des Gardes à sa place. Comptais-tu dire ces mots ou préférais-tu éviter?
-De quel droit interromps-tu cette cérémonie?
-Il n'y devrait pas y avoir de cérémonie puisque je n'étais pas présent pour le vote.
-Phoy a voté pour toi. Je t'ordonne de retourner d'où tu viens.
-"Et ne devra jamais abuser de sa fonction. Il n'a pas le pouvoir de contraindre un autre Alpha". Ni Phoy de voter en mon nom d'ailleurs.»
Le doyen en était sûr, son adversaire souriait sous son armure.
«Je te l'ordonne en tant que dirigeant de l'Alpha, retourne d'où tu viens.
-De un, tu n'es plus dirigeant depuis que tu es meneur. De deux, quand bien même tu le serais, je suis également un dirigeant. De trois, je viens d'ici. Autre chose?»
Bouloucc tourna rapidement la tête. Aucun allié. Tous envolés les accords. Il prit la foule à parti :
«Regardez-le, dit-il en laissant peser ses mots. Regardez-le bien.
-Abrège, soupira le membre du Gouvernement.
-Dites-moi, lorsque vous les regardez, voyez-vous un Alpha ou un Garde? Voyez-vous un de vos dirigeant ou un Chef des Gardes?
-Très bonne rhétorique, le félicita Rhigalt. Je ne regretterais presque pas de t'avoir laissé parler.
-Qu'elle joue pour moi de forcer ton admiration, ironisa le candidat au poste de meneur.
- Dis-moi, lorsque l'on te regarde, voit-on un dirigeant de l'Alpha, un meneur, un guerrier ou un xélor?»
Un de ses gardes atteint le bras-droit de Colette. Enfin, il s'approcha suffisamment prêt pour le décapiter et fit briller sa lame. Un pas en arrière suivit d'un coup de coude au plexus puis sous le menton l'assommèrent. Bouloucc sentit qu'il venait de perdre la partie alors qu'elle venait juste de commencer. Son adversaire profita de son silence gêné :
«Personnellement, je ne vois pas un dirigeant de l'Alpha mais un parvenu avide de spolier la guilde. Je ne vois pas non plus un meneur puisque ce Conseil n'était pas au complet. Ta lâche tentative de me faire arrêter fourbement élimine le guerrier. Quant au xélor, vas voir à l'horloge, je pense que les horlogers que tu as engagé attendent leur dû. Il reste... Il reste quoi au fait?»
Le dirigeant élu par le conseil incomplet sur qu'il venait de perdre pour de bon.
«Que viens-tu faire là?
-Je ne sais, selon toi?
-Me voler ma place.
-J'aurais honte de m'y assoir. Heureusement, ce n'est pas la tienne puisque tu n'as pas été élu en règle. Du coup, ce n'est ni un vole ni ta place. Désires-tu réorganiser des élections ou préfères-tu te retourner une dernière fois pour voir qui lève la main et votera pour moi?»
À l'entrée de la salle de justice, quatorze dirigeants sur vingt avaient la main bien en l'air. En comptant Rhigalt, les soixante-dix pour-cents étaient dépassés. Il allait falloir refaire un vote perdu d'avance. Le Chef des Gardes avança à pas lents vers lui.
«J'accepte, à condition que tu respectes le dernier ordre de Colette.
-Et qu'est-ce ma Princesse m'a ordonné?»
Bouloucc ne souligna pas le "me". Il avait perdu, inutile de faire trop de remous. Il tentait de sauver ce qui pouvait l'être sans contrarier les partisans de l'ancienne meneuse.
«Que le nouveau meneur rajoute la bannie dénommée Miss Étincelle sur la liste noire de l'Alpha et de procéder de même pour toute personne la fréquentant.»
Il ne comprit pas pourquoi Rhigalt arrêta de se rapprocher. Ce qu'il sut, c'est qu'il venait de changer la donne.
«Votez pour Sclark aux nouvelles élections - je lui confie mon vote, lâcha l'amant de Miss Étincelle avant de faire demi-tour.»
Daniel ouvrit la main et attrapa la petite luciole de vie. L'arbre de vie inclina la tête et la regarda. La luciole enfla, enfla et enfla jusqu'à les envelopper, jusqu'à envelopper toute la pièce qui baigna dans un blanc lumineux. Le blanc disparut soudainement après les avoir aveuglé. Daniel cligna des yeux. Enfin non, ce n'était pas lui qui cligna des yeux. C'est la sadida par les yeux du quel il voyait qui cligna des yeux. La sadida était allongé sur un arbre. Elle pensa. Un ras de marée de pensées submergea Daniel. Il sut tout de la sadida, tout et même pire. Il sut qu'elle s'appelait Orme, qu'elle dormait ici depuis une heure, qu'elle était jardinière, que son mari l'avait quitté la veille, qu'elle en souffrait, qu'ici les plantes poussaient mieux, que sa mère avait été la nourrice du roi, qu'elle avait un mulou de compagnie tout petit et adorable, que...
Le Porteur sortit une poignée puissante l'arracher aux flots. L'Espoir le tira du déluge de pensée qui l'envahissait. Il lui conseilla de fixer quelque chose qui le définisse comme étant lui et de taire ses autres pensées, pour ne pas parasiter celle de la sadida.
Un hurlement bestial fit trembler la forêt. Le sadida se releva soudainement. Il tremblait. Orme escalada l'arbre le plus proche pour se cacher. Daniel sentit avec certitude l'Arbre de Vie le camoufler. Une formidable explosion de wakfu secoua l'arbre. Un homme étrange, au visage sans âge, à la fois enfantin et adulte, faisait jaillir la Force de ses mains. Il joint celle-ci. Trois loups de wakfu se rangèrent à ses côtés. L'inconnu traça un grand cercle dans l'air lequel se transforma en... zaap? C'est du moins ce que l'adolescent blond cru reconnaître avant que d'autres cercle de wakfu ne s'y superposent et qu'un rayon d'Energie en jaillisse. Orme se colla encore plus à se branche. Celui qui maniait le Wakfu matérialisa deux crocs qui semblait de glace. Il adopta une garde particulière, les lames de wakfu suivant ses mouvements, et attendit. Il fixait un point devant lui qu'Orme ne voyait pas. L'Arbre de Vie le voyait sans doute, d'où son angoisse soudaine. Une créature sombres, d'environ deux mètres de haut, la peau cuivrée et tatouée de lignes et de formes qui dédaignait à la lumière le droit même d'existence, deux yeux de Néant, une armure de nuit couvrant son corps, quatre griffes au bout de chaque main et un katana que le Porteur reconnut et d'instinct et de mémoire pointé vers sa victime. Le manieur de Wakfu semblait soudain bien faible face à la bête qui émanait la violence et la destruction.
L'ancien disciple du Kanojedo se revit à la place de l'agressé. Même pas une semaine auparavant. Tant de choses s'étaient passés depuis... La créature avait pris possession de Kun et tenté de le tuer. Daniel était tombé par la fenêtre et s'était téléporté d'instinct. Cette fois, sous les yeux d'Orme, l'être ne possédait pas son porteur. C'était sa forme réelle. Et elle transpirer la promesse de la mort, du Néant. Ätrestegömmundg l'avait nommé le créateur d'Ösrigur.
Ätrestegömmundg susurra un son seul. Une sole note d'une symphonie macabre. La lumière disparut. Une nuit dense la remplaça. Le traqueur entra en mouvement. Les loups de wakfu furent coupé en un geste sortit du nulle part. Les crocs n'éraflèrent même pas son armure.
-Inutile petit éliatrope, inutile mais mièvre.
L'éliatrope disparut dans un portail. Les portails s'enchaînèrent jusqu'à n'être plus qu'une ligne éclaire. L'éliatrope en jaillissait pour lancer des rayons d'Énergie avant d'y replonger. La créature au katana en eut assez. Elle fendit l'air exactement où l'éclair passait, plus vite encore que l'éclair visé. Une seconde explosion de wakfu eut lieu. Celui qui maniait le wakfu tomba au sol. Une plaie béante traversait son abdomen.
-Tu vas me répondre Loup? As-tu visité la Trame?
Comme l'autre ne répondait pas, le chasseur enfonça son katana dans son bras.
-Alors?
Loup éructa :
-Non...
-Comme quoi, il suffisait de te tuer!
Ätrestegömmundg traça un cercle d'obscurité au sol avec une griffe et y disparut.
Daniel sentit les pitié de l'Arbre de Vie et de l'Espoir. La Quatrième Force sourit tristement. Les plaies de l'éliatrope se résorbèrent, et le blessé sombra bientôt dans un profond sommeil. À l'instar d'Orme, qui oublia ce qu'il l'avait vu dans les bras de Morphée.
La lumière blanche emplit à nouveau la salle pour décroître. L'Arbre de Vie était triste. Le Sauveur de Civilisations semblait nostalgique.
-Les éliatropes me manquent, confia-t-il à Daniel. Mais nous n'avons pas le temps de nous laisser à aller à la mélancolie.
Le Père des Dieux tendit à nouveau le bras et attira une luciole.
-Une belle vie... Prêt Daniel?
L'ami de Victoire fit signe que oui et attrapa la vie qu'Il lui tendait. L'Arbre de Vie pencha la tête de l'autre côté.
La lumière renfermant l'âme d'un sadida enfla à son tour. Le blanc se teinta des couleurs de sa vue. Le sadida se trouvait assis sur un banc du Pont de la Sainte Eau Dorée. Assis sur un banc, seul avec ses souvenirs précisément. Un cahier reposait sur ses genoux, mais il n'écrivait pas. Il avait arrêté d'écrire depuis quelques temps. Daniel se focalisa sur sa propre identité et visita celle du sadida par curiosité et car la Quatrième Force elle-même avait parlé d'une belle vie. Le sadida se nommait Cegy. Cegy Siméas. C'était un fils de bûcheron qui réussissait grâce à son talent. Contre l'avis de ses parents, il avait quitté le domicile familiale et tenté sa chance à l'école. Il comprenait tout plus vite que les autres et s'imposa vite. Après avoir découvert la lecture, il essaya l'écriture. Il écrit, écrit et écrit encore l'histoire d'un monde où la magie était impossible et où se retrouvaient coincé plusieurs habitants du Monde des Douze. Il avait découvert l'euphorie de sentir les mots couler, d'inventer un monde, ses personnages, ses règles, ses destinées. L'euphorie de sentir l'instant des mots, cet infime instant qui échappe à l'espace-temps, instant où les lignes apparaissent et se croisent, instant où toutes les possibilités coulent et où le monde se plie aux mots. Il n'écrivait plus maintenant. Quelque fois, comme ce jour-ci, il en avait des regrets. Ses études prestigieuses lui prenaient tout son temps et il ne pouvait plus faire vivre les mots. Il était heureux malgré tout. C'était plus de la nostalgie que des regrets. Il était heureux d'avoir vécu ça, espérait pouvoir recommencer mais était heureux.
Daniel était d'accord. Une belle vie au grand cœur. Un homme en noir passa prêt de Cegy. Le sadida ouvrit ses yeux. Depuis qu'il avait écrit il... il sentait certaines auras, comme avec ses personnages. Cet homme était dangereux. Dangereux, déterminé, tueur et maléfique. Il se glissait entre les personnes qui le fuyaient d'instinct. Deux pistolets noirs pendaient à son côté. D'un noir qui annihilait la lumière. Le tueur regarda dans leur direction. Le Porteur eut l'impression que c'était lui et non Cegy qui était visé.
La vision s'estompa d'un coup.
«Celui-te cherche, l'averti la Justice Céleste. Il te traquera jusqu'à te tuer.»
L'ami de Victoire balbutia :
«Pourquoi? Pourquoi?
-Car tu portes et incarnes ce qu'Il veut éradiquer. L'Espoir. La seule chose qui se glisse entre la vie et la mort. La seule chose qui résiste au Néant.»
Le Porteur avala sa salive avec difficulté. L'entité lui lança d'un ton encourageant :
«Tu as encore du temps devant toi pour te préparer.»
Avec un sourire énigmatique il ajouta :
«Va faire ce que tu as à faire»
Daniel disparut. L'Espoir aussi. L'Arbre de Vie se retrouva seul, un nœud au ventre.
Une guerre se préparait. Et les masques n'étaient pas encore tombés.
Page précédentePage suivanteCréé le 15/08/13 é 05:30
Derniére modification le 31/03/14 é 08:47