Wakfu

Sacré est ton Silence, Sacrieur. - Les Carnets Nombre d'abonnés16 abonnés

Les contes du vieil Enutrof -> Les histoires au coin du feu
3
J'oublie mes angoisses, le temps d'un maigre repas.
La viande est à peine cuite, mais c'est déjà bien assez, comparé à ce que j'ai le plus souvent. Il est souvent arrivé qu'ils me donnent un os à ronger, ou un reste carbonisé d'un de leur repas. J'ai trop faim pour faire la fine gueule.
Je suis si affamé que la chair juteuse a l'allure d'un met divin. Je me moque bien de ce qu'ils pensent en me regardant manger sans pouvoir user mes mains la maigre pitance qu'ils daignent bien me donner. Je sais déjà qu'à leurs yeux, je ne suis qu'une bête.



Les trois bandits ne prenaient jamais le temps de s'installer. Chaque nuit, ils se contentaient d'un feu de camp, et dormaient à la belle étoile. Celle-ci ne fit pas exception.
Ils organisaient des roulements afin d'éviter d'être attaqués par surprise : après tout, ils étaient recherchés dans la région Nord d'Amakna, et n'étaient certainement pas les seuls bandits de la région. Le fonctionnement était simple : dès l'instant où celui qui assurait la surveillance des dormeurs ne se sentait plus capable de tenir son poste, trop épuisé, il réveillait le suivant, qui faisait alors de même. Le système marchait plutôt bien, et ils ne s'étaient jamais heurtés au moindre conflit le concernant (néanmoins Brizerain soupçonnait fort Beth d'être toujours celui qui dormait le plus, et seule sa nature distante l'avait fait éviter le sujet jusque-là).
Beth commençait généralement le premier tour, et se chargeait durant ce moment de faire un peu de "couture".
Ca avait été difficile au début, et il avait fallut assomer le Sacrieur, mais maintenant il se laissait faire. Résigné, sans doute.
Précautionneusement, l'Eniripsa pinçait les cils du prisonnier, avant de les tirer légèrement afin de faire se décoller les paupières du globe oculaire : il s'assurait ainsi de ne pas le traverser. Celà fait, il se mettait à coudre, muni d'une aiguille très fine et de fil de pêche. Une fois son ouvrage terminé, il faisait un noeud, puis passait à l'autre oeil, terminant toujours par les lèvres, avec un fil plus épais. Celà faisait maintenant trois jours qu'il ne s'était chargé que de le priver de la parole, ne lui retirant plus les fils aux paupières, persuadé que Vyem n'avait de toute façon pas besoin de voir. Plus ils le privaient de ses sens, plus il devenait dépendant d'eux. Et moins il aurait de chances de s'enfuir.
Car Beth n'était pas dupe. S'il leur obéissait lorsqu'ils nécessitaient ses talents pour combattre, c'était uniquement par crainte de la mort, et à raison : ils n'hésiteraient absolument pas à lui trancher la gorge s'il se refusait à les soutenir. Et de l'autre côté, le moindre instant de faiblesse de la part des bandits, et ce foutu Sacrieur leur tomberait dessus. Une raison bien suffisante pour ne pas lui laisser la moindre liberté.

Beth cousait donc, en silence, observant Vyem de son air mauvais. Le Sacrieur ne fit pas le moindre geste, ne chercha pas même à détourner la tête pour lui compliquer la tâche. S'il avait pu ouvrir les yeux, l'Eniripsa aurait alors vu deux perles d'une clarté glaciale, un regard aussi froid et tranchant que la lame effilée d'une dague de Sram.
Et il craignait ce regard.
La blancheur lunaire des yeux des Sacrieurs l'angoissait. Et plus encore dans le cas de Vyem, car ces yeux, lorsqu'il avait l'occasion de les voir, n'étaient pas ceux d'une proie, mais d'un prédateur. C'était le regard de celui qui avait le coeur consumé par une haine glacée.
Et il en avait peur.
Il aurait préféré mille fois que cette victime hurle, pleure, se débatte, geigne à n'en plus finir. Il aurait voulu le faire taire, le cogner pour lui aprendre à obéir, avoir le sentiment d'écraser un pauvre insecte ridicule... il aurait voulu qu'il baisse le regard devant lui, pouvoir le dresser comme on dresse un clébard. Il aurait voulu tout ça. Mais il avait sous-estimé le Sacrieur, qui gardait la tête haute. Il était fier. Et il se vengerait à la moindre occasion.
Voilà pourquoi il fallait se montrer plus dur encore.
Beth savait que le seul moyen de ne plus avoir cette crainte ridicule de leur esclave, c'était de le briser, de le réduire à rien. Aucun de ses efforts n'avait encore porté ses fruits jusque-là.

-Tôt ou tard... tu vas t'foutre à genoux... tu vas t'écraser au sol comme une pauvre loque pour que j'daigne alléger un peu ta peine..., siffla l'adepte de la Fée des Miracles avant de se redresser, rangeant son aiguille dans une petite sacoche à sa taille.

Il s'éloigna en marmonnant. L'utiliser avait beau être son idée, ce foutu Sacrieur le rendait mal à l'aise.
C'était lui, Beth, qui risquait de se faire tuer le premier si quelque chose dérapait, il le savait.
Et Vyem aussi.


[image]Beth Adyhnn



La nuit se passa sans encombres, à peine troublée par les cris nocturnes d'une meute de Mulous qui ne vinrent jamais s'approcher d'eux.
C'est Torbwa qui avait assuré le dernier tour de guet, et il réveilla les autres peu après que les premières lueurs de l'Aube aient recouvert la cime des arbres. On détacha le Sacrieur, dont les poignets restèrent tout de même soigneusement liés, avant de lever le camp. C'est Brizerain qui tenait la laisse de fortune qu'ils avaient accroché au collier de métal du captif, le guidant ainsi à leur suite au travers de la forêt.

-Vous savez ce qui m'emmerde ?, fit remarquer le Pandawa, après qu'ils aient marché une bonne vingtaine de minutes en silence au milieu de la végétation.
-Je sens que ça va être pa-ssio-nant, ironisa Beth.
-Ca fait un paquet d'jours qu'on a pas bu une goutte d'alcool.

Brizerain hocha silencieusement la tête. Même si Torbwa était le dernier arrivé dans le groupe (il remplaçait en réalité leur dernier équipier, un Feca qui s'entendait très mal avec Beth, et qui fut décimé par ce qui ressemblait à une mysterieuse intoxication alimentaire), c'était le plus loquace, il se familiarisait vite avec les gens qu'il ne connaissait pas, et, il fallait bien l'admettre, mettait un peu d'ambiance au tableau morose qu'offraient un Eniripsa aigri, un Iop taciturne et un Sacrieur muet.
Le guérisseur fronça les sourcils.

-Tu t'fous de moi ? Tu t'trimballes ton tonneau sur le dos depuis not' dernière escale, et j't'ai vu en boire tous les jours.
-Il est presque vide ! déplora le Pandawa. Et puis c'est pas c'que j'appelle un alcool, il est médiocre. C'est presque du jus de pomme !
-Et puis on pourrait voir des femmes, ajouta le Iop à voix basse.
-D'accord, j'vois... z'avez décidé d'jouer aux gamins capricieux, hein ? Tout l'monde veut sa pause pipi et son verre de lait d'bouffette ?, railla l'Eniripsa, grimaçant. Très bien... on va continuer vers l'Sud, Sufokia devrait être qu'à queq' heures de marche.

Torbwa le soupçonnait d'y mettre de la mauvaise volonté pour la forme plutôt que parce que l'idée d'aller prendre un peu de bon temps le rebutait. Au contraire, Beth serait probablement le premier à s'oublier dans l'alcool et le stupre. Ca leur ferait du bien à tous les trois, après tout. Peut-être même à tous les quatre.
Le Pandawa doutait que le Sacrieur puisse réellement profiter d'une virée à Sufokia. On le laisserait probablement quelque part en périphérie de la ville, surveillé par l'un des trois. Il y aurait encore un roulement à faire pour la surveillance. Embêtant. Il aurait réellement aimé qu'ils y aillent les trois ensemble, aussi il lança finalement, l'air de rien :

-Et pour Vyem ?
-L'un de nous restera à le surveiller, les autres ramèneront d'quoi s'goinffrer.
-Ah non, non, ça serait bête ! J'connais justement une auberge géniale à Sufokia. Un p'tit paradis ! Pour quelques pieces, on a un alcool de qualité ! Ils y font un vin chaud délicieux, la bouffe est grandiose, et... j'vous parle pas des danseuses...
Il fit un sourire malicieux derrière sa barbe, ajoutant sans leur laisser le temps de répondre quoi que ce soit :
-Et puis... je pourrais payer ma tournée. Pour fêter not' franche amitié naissante, mmmh ?

La simple idée de ne pas avoir à débourser le moindre sou acheva de convaincre Beth. Côté Brizerain, c'était comme prêcher pour un convaincu.

-D'accord, je marche. Mais on fait quoi du sac de viande ?
-Je le fout dans mon tonneau, personne en saura rien.
-Va pour ça.

Malgré l'air grognon qu'il se donnait habituellement, le colosse fut a peu près certain de percevoir un vague sourire au coin des lèvres de l'Eniripsa. Page précédentePage suivante
7 commentaires :
Sarcas33Hors ligne
26/08/2012 (00:12)
Ton titre cole tres bien avec l'histoire meme si elle date cette histoire sera toujours aussi stupefiante 10/10
Kriss [Soul Monster]16Hors ligne
27/10/2011 (15:58)
les caractères des personnages sont bien fait. j'aime particulièrement le Sacrieur, il est très réussit.

Pana233Hors ligne
27/10/2011 (15:38)
Tes descriptions sont d'une précision bluffantes :o *camoufle sa jalousie*, sinon j'attends la révolte de Vyem avec impatience, je le sens :)
Grenadier [Les Espoirs]248Hors ligne
27/10/2011 (15:31)
Owii j'ai trop aimer, j'aime ta façon d'écrire.
Seul mauvais point ... Je vien de finir et de voir qu'il n'y a pas de page suivante (Nannn!!!!) J'attendrai avec impatience.
trackmaniatm112Hors ligne
27/10/2011 (13:51)
C'est superbe continue comme sa !
gendiki (ExBuildeur)2742Hors ligne
26/10/2011 (20:53)
toujours sympathique
andyspak626Hors ligne
26/10/2011 (20:23)
Une seconde partie plus calme, moins glauque et avec un peu plus d'information sur le trio (et oui il ne sont que 3 car les animaux ne compte pas Héhé ! ). J'attends avec impatience la suite et te réinvite à aller voir mon carnet et donner ton avis.

Bonne soirée et vive les Féca!
Laisser un commentaire :
Pour laisser un commentaire, vous devez étre identifié :
Login : Mot de passe : Mot de passe oublié ?
Pas encore inscrit ? Créez votre compte !