Saurek courait. Il courait depuis plusieurs heures déjà. Son détour qui lui paressait court à première vue était en fait beaucoup plus long. L'idée de se retourner pour attaquer son poursuivant l'avait bien traversé, mais il ne voulait prendre le risque de perdre du temps ou de rater son coup. Il se contentait donc de fuir. De temps à autre, une créature se montrait. Une lame de fond lui réglait son compte.
Derrière lui, les pas se rapprochaient. Saurek accéléra. Il commençait à reconnaitre les lieux :
«Gauche, droite, monter, droite, se répéta mentalement le féca. Puis c'est l'échelle et la sortie.»
Gauche. Le fugitif entraperçu ses poursuivants dans son virage. Ou plutôt son poursuivant, puisqu'il était seul.
Droite. Saurek comprit en voyant que son poursuivant était une poursuivante à sa robe que c'était l'amie dont le sram lui avait parlé. Pas aussi efficace que ce que son geôlier avait laissé entendre.
Saurek songea soudainement et inexplicablement à sa mère : vieille, moche, amputée d'une jambe, chauve, le nez à moitié détruit et surtout elle n'avait fait que le haïr. Elle l'avait presque abandonné pour son frère et l'avait rejeté, lui. Il se surprit à songer à ce qu'aurais été sa vie si une autre l'avait élevé.
Monter. Il commença à monter mais la pente explosa on ne sait comment. Peu importe. Le féca sortit un glyphe de sa poche, la lança au sommet de la pente et s'y téléporte aisément. Malheureusement, sa poursuivante en avait profité et elle n'avait plus qu'une poignée de secondes de retard.
Droite. L'évadé vit l'échelle devant lui. Il commença à grimper.
«Attends, attends, je veux juste te parler.»
La voix de sa poursuivante était douce, délicate, enivrante. Saurek comprit tout de suite qu'il fallait la mettre hors-jeu. Tout en continuant de monter, il se retourna à demi et lança une vague sur elle. La vague lui passa dessus sans la gêner. Le féca recommença. Son erreur fut de se retourner complètement.
Sa poursuivante était belle. Très belle. C'était une éniripsa d'une beauté infinie. Elle était de taille moyenne, svelte et jeune. Ses longs cheveux miels lui descendaient jusqu'en dessous des épaules en ondulant gracieusement. La lumière s'y reflétait et donnait à la chevelure des lueurs dorées. Une longue robe saphir moulait délicatement son corps et tombait sur ses chevilles avec les mêmes mouvements que ses cheveux.
Les manches descendaient jusqu'aux poignets. Ses mains étaient blanches, propre. Saurek en imagina la douceur et hâta sa descente. La robe semblait avoir une vie propre et s'envolait légèrement de droite à gauche à sa base. Ses pieds étaient nus mais ne portaient aucune trace de la poursuite et étaient exempt de toute forme de souillure.
«Allez, viens, je ne te veux aucun mal.»
Le féca la croyait sur parole. Il senti toute sa fidélité pour sa déesse s'envoler au loin. Sa nouvelle déesse, c'était la beauté qui se tenait au pied de l'échelle.
«C'est ça, viens.»
Saurek entendit à peine ces mots. Tout son esprit était occupé par la contemplation du visage de l'éniripsa qui venait de sortir de l'ombre. Ses traits étaient fins et son sourire était d'une blancheur inégalée. Ses lèvres se relevaient doucement et chaque partie du sourire visible comblait Saurek. Son nez ne gênait pas la beauté du visage, au contraire. Sa forme intégrait à merveille le visage : petit, discret mais pourtant joli, le féca crut rêver. Lorsqu'enfin il vit les yeux de l'éniripsa, il sauta complètement de l'échelle pour arriver plus vite au près de cette déesse de la beauté. Les yeux étaient des joyaux purs saphir. Derrière elle, ses ailes battaient doucement en provoquant un courant d'air qui caressait le visage de Saurek, pour le plus grand bonheur de ce dernier. Des étincelles virevoltaient autour d'elle.
«C'est bien. Tu viens, demanda l'éniripsa au féca.»
Ce dernier se perdit dans la contemplation de celle qui l’appelait et chuta en avant. Elle le rattrapa et le colla contre sa poitrine en le serrant comme on câline un fils. Elle lui murmura à l'oreille :
«Ne t'inquiète pas mon choux. Je suis là. Tout va bien. Tu peux m'appeler Miss Étincelle si tu veux.»
Kirabi patientait dans la réserve depuis plus longtemps que prévu. Au lieu d'une demi-journée, le double s'était écoulé. Ce laps de temps supplémentaire ne l'aidait pas à se décider mais l'avait dégrisé, ce qui était un miracle en soi. Les pensées macabres qu'il ruminait n'en étaient que plus précises et désespérantes.
Il était promis à la mort, il le savait mais peut-être, en négociant, il resterait juste enfermé ici. Peut-être aussi qu'être transformé en Brasseur était la meilleure chose à faire. Peut-être que si il ne réapparaissait pas, une patrouille serait envoyée à sa recherche et le trouverait. Peut-être que les Brasseurs ou des aventuriers viendraient fouiller la réserve. Peut-être que...
La porte qui pivota en grinçant interrompit les réflexions moroses du Challengeur. Ce dernier regarda l'ouverture et craint que sa dernière heure fut arrivée.
«Ne t'inquiète pas, je ne suis pas le Chef.»
Le sacrieur de la bande, Xan, s'avança vers le tonneau où Kirabi était attaché. Ce dernier osa songer que le sacrieur allait le rançonner lui-même. Le colosse s'aperçut de l'espoir marqué sur le visage de l'otage et le détrompa :
«Je suis chargé de te surveiller. Pas de te libérer, rêve pas.
-Je rêve pas, je m'apprête à crever.
-Comme tu veux. Oh, tant que j'y pense, le Chef m'a dit de te dire qu'il viendrait quand il t'auras trouvé un cercueil.»
Un déclic eut lieu dans l'esprit du sadida. Il devait mourir. Mais quitte à mourir, autant le faire bien. Une transformation en Brasseur fantôme lui assurerait de pouvoir communiquer sa mésaventure à des aventuriers mais la forme éthérée lui garantirai de passer pour un embobineur. De plus, les gostofs ne survivent pas à l'air libre, ce qui bloquait sa vengeance ou même une rencontre publique avec son bourreau. Sans parler de l'affaiblissement de ses pouvoirs, bien que ceux-ci ne soient pas des plus développés. À exclure donc.
Décapité? Une mort certes sans douleurs. Il doutait cependant que le xélor qu'il connaissait si bien serait capable de faire ça. Le problème étant que le Chef ne pouvait pas le laisser révéler son secret. Kirabi sourit en songeant aux conséquences d'un tel acte. Il y laisserait la peau mais serait vengé. Théorie suffisamment intéressante pour être tentée :
«Je suppose que tu sais qui est ton chef?
-Bien sur que non, il n'est pas si idiot, répondit Xan.
-Ah bon? Il n'a pas confiance en toi?»
Le sacrieur grimaça. Kirabi vit qu'il avait touché un point sensible. Continuant la manœuvre la plus subtile de son existence, il enfonça le clou :
«S'il n'a pas confiance en toi, c'est moche. Tu te rends compte que sa seule signature a plus de valeur que toi à ses yeux? Il te laisse toutes les tâches ingrates pendant qu'il mène une vie peinarde.
-Hein?
-Je le connais, c'est un bon ami. Il doit être allonge dans son lit en train de rêvasser avec un bon jus de cawotte. Aucun visiteur osera l'importuner, tant son nom inspiré le respect. Si tu veux, je t'en fais un de jus de cawotte, il y a tout ce s'utilise faut dans ses tonneaux.
«Très drôle, répliqua d'un ton barbé l'homme de main.»
Son regard trahissait tout de même un doute. Au fond, faire germer cette graine ne devait pas être plus dur qu'avec une poupée:
«Je ne te garanti par contre pas que mon jus sera aussi bon. Le sien est importé directement de l'île des Wabbits. Avec ses initiales en reliefs sur la bouteille! Autant dire que c'est autre chose que le nectar des Brasseurs fantômes...
-Impossible, le reprit le sacrieur en croyant voir une faille dans l'accusation. Aucun des transports des Wabbits n'amène des choses de chez eux pour être vendues. Je le sais j'ai été matelot là-bas.
-Que crois-tu? Il les fait importer par un de ses dizaines de serviteurs. Il ne se refuse rien ton patron. Son nom ouvre toutes les portes. Au moins, il te paye bien pour me garder dans cette vieille cave humide et dégoûtante?»
Cet ultime argument fit mouche. Xan regarda rapidement autour de lui puis se rapprocha :
«Tu me donnes combien toi pour ma libération?
-Juste le nom de ton chef. Crois-moi, il vaut plus que de l'or, assura la Challengeur.»
Le colosse aux tatouages regarda à nouveau si personne ne pouvait le voir et colla son oreille vers la bouche du prisonnier en hurlant presque :
«Dis-moi ce maudit nom.»
Kirabi se fit un plaisir de le satisfaire.
«Alors Kun tu rêves?»
Comme toutes les personnes portant une tunique de pandawan, Kun participait à l'entraînement du beau matin qui consistait en une série d'épreuve. Course à pied pendant une heure, puis un bon quart d'heure à marcher pieds nus sur un sol de plaques d'ardoise, ceux qui ne faisant pas attention se retrouvant très vite avec des coupures multiples, et enfin deux heures d'affrontement avant le premier repas de la journée. Un programme musclé qui ne réjouissait pas les nouveaux arrivants. Mais comme le dit le Maître : "Ces larves ont voulu venir. Elles ne peuvent pas ne pas tenir. L'humiliation est un très bon bâton."
Cependant, vu la force du Chaos de l'avant-veille, les deux premières étapes n'avaient pas eu lieu à la plus grande irritation du Maître iop. Ce dernier distribuait les corvées à tour de bras pour se défouler :
«Kun tu rêves! Réveil-toi! Tu dors là!»
Comme pour appuyer les dires du maître, la lame de Kun lui échappa des mains tandis que celle de son adversaire se mît à danser. Kun était acculé :
«C'est bien ce que je dis. Tu dors! Te faire battre par un nouvel arrivant aussi facilement c'est la honte.
-Eh Kun, le nargua un voisin. Il n'y a plus l'autre nullité pour que tu démontres ton talent sur lui?
- Attends un peu que je le retrouve, siffla Kun une fois son adversaire parti changer de binôme.
-Que tu retrouves quoi? Sa photo? Ne me dis pas que tu en a une, continua le voisin.
-Veyfer, répliqua le sadida battu en fouillant son casier. Tu peux te la fermer cinq minutes? On dirait un Bwork à la saison des amours.»
Veyfer, vexé, franchit la dizaine de pas qui le séparait des casiers. Tout le monde regardait la scène avec attention.
-J'ai bien entendu? Un Bwork moi?
-Très bien, tu n'es pas encore sourd. En fait, c'était un bwork à la saison des amours mais tu as compris le principal. Ah il est là!
-Tu as trouvé le portrait de ton Dan chéri?
-Non. J'ai retrouvé ça.»
Kun se retourna vers Veyfer et lui montra la courte lame qu'il tenait dans sa main droite. Grande d'une quarantaine de centimètres, sa couleur était plutôt terne. Des filins d'acier s'enroulaient autour du manche en commençant par le bas où ils formaient une boucle puis remontait sur les bords de la lame. Cette dernière avait une forme de triangle isocèle dont la base reposait sur le manche. Il tendit le bras et planta la lame dans le mur, où elle s'enfonça sans rencontrer la moindre forme de résistances. Le sadida demanda :
«Tu veux que je test mon joujou avec toi? Oh, bien sur, je comprendrais tout à fait que tu veuilles te défiler.
-Où as-tu trouvé ça Kun? Je ne crois pas que nous ayons un exemplaire comme celui-ci, l'interrogea le maître alors que Veyfer s'écartait prudemment.
-Je les ai fait monsieur. Il y a trois jours, dans la forge du Kanojedo.
-"Les"? Je n'en vois qu'un, fit remarquer le iop.
-Les autres sont dans ma chambre je pense.
- Montre-moi ça.»
Kun tandis son ouvrage.
«Hum, bon équilibre, tiens bien en main et ne glisse pas - très bonne idée les filins d'acier à ce sujet - la lame est assez longue pour un poignard mais surtout épaisse en son centre. Très tranchante par contre, observa le maître. Enfin bon, contre une lame classique tu perds toujours beaucoup de distance.
Il rendit l'arme au sadida.
«C'est que c'est plus une arme de lancer.»
Pour le démontrer, il visa l'une des cibles à une bonne cinquantaine de mètres de là. L’invention du sadida décrivit une trajectoire parfaitement droite en tournant sur elle-même. Au passage, elle coupa une mèche de cheveux de Veyfer.
«Presque au milieu, vit le lanceur.»
Il partit récupérer son arme dans la cible.
«L'entraînement est fini pour se matin, hurla le maître iop. Vous avez deux heures libres!»
Les disciples rangèrent leurs armes et armures puis sortirent de la pièce.
Iclafipartare se cachait dans l'entrepôt de Shika sous la route Croustillante depuis le matin pour échapper aux contrôles de passeport (suivis d'arrestation dans presque tous les cas puisque Moiq avait fermé les bureaux permettant de renouveler ses papiers sous prétexte d'économies). L'astre solaire déclinait rapidement à présent, le crépuscule s’installait. Toute la journée, des pas avait martelé le pont, au rythme des explosions. Les combats entre hors-la-loi et Gardes avaient duré toute la journée, jusqu'à que les évadés aient pris le contrôle du bateau pour Brâkmar alors qu'un vent puissant balayait le pont. Tout laisser à penser qu'ils y seraient plus que bien recueillis.
Maintenant, les Gardes restants travaillaient à réparer le pont et les ateliers, abîmés voire détruits par des tirs perdus. Le roublard se permit de nuancer cette pensée en revoyant le célèbre énutrof tueur à gage Wazawa tirer une flèche explosive combinée à une balise incandescente en plein sur la place marchande.
Du reste, aucune personne n'avait vu Iclafipartare. Le cadenas sur la porte n'y était sans doute pas étranger.
«La Gazette, demandez la Gazette!»
Un crieur de rue passait au dessus de la cachette du hors-la-loi:
«Demandez la Gazette! Édition spéciale : "Attentas, œuvre d'un malfrat sans précédents ou manipulation du Gouvernement?"! Édition du jour : "Quelle sera la prochaine cible?" avec une interview spéciale des énutrofs qui demandent à Moiq un remboursement! Moiq annonce qu'il visitera la Route Croustillante pour y faire un discours, page3! Demandez la Gazette!»
Le roublard retint tout particulièrement la dernière annonce. Il était venu sur (ou plutôt sous) ce pont ci pour deux raisons : échapper aux Gardes et préparer un affaissement du pont marchand le plus fréquenté de tout Amakna. Lui qui comploter d'augmenter la méfiance ambiante aller bientôt le faire sous les yeux du Gouverneur, à son nez et à sa barbe. Récompense suprême pour Iclafipartare.
«Une deux! Une deux!»
Des pas martelaient le pont à un rythme régulier. Le son rappela au roublard un livre qu'il avait dérobé - sans problèmes - chez Hibouf. Un bouquin qui traitait de...
«La résonance! »
Iclafipartare ne pût retenir cette exclamation. Décidément, son anniversaire avait été avancé. Des doutes sur la loyauté du Gouverneur, ce même Gouverneur qui venait pour assister à son coup d’éclat et une Garde imbécile qui aller faire résonance entre leurs pas, les bombes et le vent.
«Le pont ne résistera pas, prédit le roublard en riant.»
Il installa ses bombes sous l'intégralité du pont en reproduisant son exploit des égouts : escalader et surtout tenir à l'horizontal. Le soleil disparaissait complètement derrière l'horizon lorsque le roublard finit de relier ses mèches. L’intégralité du pont était minée. Le vent redoubla de violence. De rafales c'était devenue une vraie tempête. La Route Croustillante se mît à trembler sous l'effet du rythme des Gardes en résonance avec la tempête grandissante. Dommage pour le pont, les mèches et les bombes ne craignaient pas le de chuter grâce aux attaches métalliques que le roublard avait rajouté. Au-dessus, le défilé des forces amaknéennes continuait. Le tremblement exemplifia.
«Mes chers compatriotes, je suis très heureux de m'adresser à vous aujourd'hui.»
Des hurlements et des fruits pourris répondirent à ce début de discours de Moiq. Enfin, le discours écrit par les diplomates de Moiq et clamé par le Porte-Parole, Moiq n’étant évidement pas capable d’écrire ou de prononcer de telles phrases.
«Pas très diplomate, remarqua le roublard. Dire qu'il est très heureux d'être ici alors que les catastrophes se multiplient. Entre autres ici.»
Un large sourire éclaira sa face.
«Vous m'avez élu et m'avez accordé votre confiance. Sans jamais en faillir.»
Même traitement pour le Gouverneur, une fois de plus. Et le sourire du roublard de s'agrandir, si toute fois c'était possible.
«Je remarque votre enthousiasme pour me venue et vous en remercie.»
Toujours la même réaction.
«Je suis au regret de casser votre enthousiasme en vous annonçant que mon Vice-Gouverneur a démissionné, me laissant seul avec le lourd poids du pouvoir. Mais comme vous vous en êtes aperçus, j'ai relevé ce défi avec mon talent personnel et…»
Encore la même réaction.
«Des rumeurs disent que mon Amakna est en danger. Je vous dis que c'est faux. Notre nation est plus forte que jamais grâce à mon mandat.»
Il aurait sans doute eut droit à une autre dose de fruits pourris si le pont ne s'était pas effondré. Au sens propre. Il se disloqua en une centaine de morceaux qui tombèrent les uns après les autres dans l'eau. Une seule personne ne semblait pas s'en inquiéter. Un roublard admirait son œuvre depuis la Prairie Fertile, tranquillement allongé dans l'herbe.
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20/07/13 - Fin de ce premier Carnet!