Rien. Rien. Rien de rien de rien! Pas le moindre petit combat. Ni même une lutte. Ne serais-ce que l'ombre d'une confrontation. Ou juste trois coups échangés.
Rien! Enfin, rien à part deux pauvres flèches décochées vers des poursuivants qui ne s’étaient aperçu de rien. Le Chef se moquait de lui. Il lui avait demandé de garder un passage inconnu, morbide et repoussant. Heymez n'avait tiré que deux flèches. Aucune de ses cibles n'avait réagi de façon réelle. Le crâ revit le premier trait à la trajectoire six parfaite exploser au beau milieu de la pente pour rabattre le féca - ou du moins celui qui lançait des sorts typiques de cette classe - mais non. Le visé s'était juste téléporté au-dessus de la zone éboulée. Une éniripsa était arrivée ensuite. Le projectile avait suivi une trajectoire parfaitement équilibrée, soupesée et rectiligne pour transpercer le crâne de la femme de gauche à droite et la tuer instantanément sans même qu'elle ne se rende compte qu'il était là.
Enfin, en théorie. Deux éléments exaspérants avaient empêché ce tir parfait d'accomplir sa mission fatale. Un infime tressaillement de ses trois doigts avait dévié la flèche au dernier moment dans la zone de vision de la seconde personne visée et hors de la trajectoire mortelle pour planer au-dessus de la tête blonde. De plus, l'éniripsa s'était déphasé en un instant si bref que seul le regard précis du crâ avait pu le détecter, et encore. Il se demandait s'il n'avait pas rêvé tant le geste avait été rapide.
La chute d'un engin enclencha les réflexes du crâ. La flèche se plaça sur l'arc, ses jambes se stabilisèrent, son corps pivota, la corde se tendit jusqu'à son oreille puis le projectile pointa l'origine du son. Heymez soupira en reconnaissant un Sinistro. Il baissa son arme et rangea la flèche Incandescente. Accroché à l'aiguille de l'objet xélor qui bâtait la mesure, un parchemin attendait de délivrer ses informations.
Tandis que le crâ se penchait avec sa torche pour récupérer le message de son Chef, quatorze chiffres étincelèrent sur le métal neuf du Sinistro. Un chiffre de fabrique unique et révélateur du xélor invocateur que l'homme de main n'avait jamais pu relier avec certitude.
Le message était son nouvel ordre de mission. A peine s'il aurait un peu d'action.
Décidément, ce Chef se moquait de lui.
La chose avançait lentement, en savourant à chaque enjambée les émotions de sa victime. Celle-ci était à chaque instant plus apeurée, pétrifiée, horrifiée, terrifiée par l'être qui s'approchait.
«Malheureuse créature, maladroite, lente et paisible, ton âme est une rature que je m'en vais réparer!»
Le disciple était désormais plaqué contre l'embrasure de la fenêtre. La lumière extérieure s'arrêtait à celle-ci. Le monstre était donc toujours invisible et continuait sa chasse. Il jouait avec Daniel comme un Chacha avec une souris.
La proie se mit en équilibre sur le rebord. En bas, loin en-dessous de lui, si loin, des mains se tendaient dans sa direction. Quand bien même ils viendraient, ils arriveraient trop tard.
«Fais attention à ne pas tomber surtout, ricana la chose
-Qui êtes vous?
-Un être supérieur. Tu as échappé récemment à mon créateur, mais tu n'auras pas cette chance avec moi.
-Êtes... Êtes-vous un shushu?
-Bien plus, et bien moins. Je suis…»
Un iop lancé à toute vitesse passa entre le corps du disciple et le mur pour se planter devant celui à qui il venait de couper la parole.
«Fuis Daniel, ordonna le Maître.
-Mais…
-Saute!, exigea Draek en se concentrant sur son adversaire.»
Sauter. À une telle hauteur. De toute évidence le iop avait perdu la tête.
Daniel voulut évaluer la distance avec le sol. Il n'en eut pas le temps. Le combat commença et très vite l'un des deux combattants poussa - volontairement? - le blond.
La chute vertigineuse et la fatalité de la mort envoyèrent Daniel dans une inconscience qui le coupa de ses sens.
Il ne pût ressentir le poids réconfortant d'un long objet cylindrique dans sa main, ni voir ses douces runes bleutées danser.
Loin sous le sol de cette nation, les trois chercheuses et Saurek sentaient leur tension montait : les premières pour la simple et bonne raison que tous leurs autres Transferts avaient échoué, le féca car il craignait plus que tout au monde de décevoir sa mère. Une petite voie essaya de lui remémorer que c'est à Féca qu'il devait fidélité et services mais il la claquemura aussitôt. Qu'était donc une déesse faible et égocentrique face à une éniripsa d'une telle bonté?
«Tu penses à quoi mon Boufton?
-A ti Mama.
-Oh, comme il est chou ce petit, ricana Evayn.
-C'est le plus beau petit du monde, acquiesça l'éniripsa du groupe en secouant ses cheveux d'or sous son casque de protection. Enfile cette tenue s'il te plaît Saurek.
-Dacor Mama. Peut boire gloubon?
-Si tu es gentil. Enfile cet habit s'il te plait.»
L'adolescent presque adulte enfila la tenue noirâtre et intégrale que lui tendait sa mère adoptive comme l'aurait fait un enfant de moins de trois ans, c'est à dire en se tortillant durant un certain temps. Exaspérée, Evayn la lui enfila en faisant à moitié la moue.
La crâ en profita pour ouvrir une malle qui reposait près d'elle et en sorti plusieurs fils cuivrés. Elle les enduit de différents produits avant de les poser un à un sur la combinaison du garçon aux cheveux jais. Une fois l'habit recouvert de câbles, on ne distinguait du corps que la tête laissée vierge de tout vêtement ou conducteur. Miss Étincelle décrocha une cagoule également empêtrée dans un dédale de fils et la passa affectueusement sur la tête de Saurek en accrochant les raccords entre la tenue et la cagoule au niveau de coup à l'aide de cordelettes.
«Ça va mon chou? Ne t'inquiète pas pour l'odeur de sapin, tu ne la sentiras pas longtemps. Prend ma main et suis-moi.»
La femme superbe guida l'encagoulé vers un espace surélevé laissé libre au centre de la pièce. Bahamer traina un appareil cylindrique dans ce milieu de telle sorte que Saurek se retrouva face à un tube vertical adapté à sa taille au millimètre près.
«J'ai dû ajuster rapidement la taille mais je suis assez fière de moi, résuma la steameuse.
-Il faudra bien un jour que tu m'expliques comment tu fais pour être si douée avec les dernières mesures, fit Evayn»
Bahamer cligna de l'œil en sa direction. L'appareil se composait de deux moitiés verticales distinguables l'une de l'autre par leurs couleurs : l'une resplendissait le Wakfu autant que l'autre respirait la Stasis. Ces deux moities n'étaient réunies que contre la nature. Une pression sur la fente blanche et étincelante qui unissait les deux parties ouvrit le sarcophage à Saurek.
«Mama, j'ai peur. Est froid ladans.
Miss Étincelle le prit contre elle et le serra fort, très fort, aussi fort que le peu une mère qui partage la douleur fatale de son fils. Elle lui murmura des mots d'une douceur inouïe à l'oreille, l'embrassa tendrement sur la joue en ouvrant son casque au mépris des règles de sécurité puis lui montra un collier qu'elle venait de sortir de la poche :
«Regarde Saurek. Moi, quand j'ai peur, je me rassure avec ce collier.»
Le bijou en question semblait être le résultat d'un maître Bijoutier d'un talent inexistant. Des boucles invisibles se raccrochaient les unes aux autres pour former une chaîne d'une quarantaine de centimètres. Cette chaîne reflétait tendrement la lumière dans toutes les directions en la transformant ici et là en arc-en-ciel complet. D'une finesse impensable, le collier n'en était pas moins solide et soutenait sans peine une fleur. La chaîne comme la fleur n'était que pur cristal d'une roche inconnue, tel une perle de lumière solidifiée, telle une larme divine gelée par le froid d'un cœur brisé.
«Zoli ça, balbutia à grand peine le féca.
-Admire comme le collier traverse la fleur sans jamais l'enrouler pour la soutenir en passant à travers la tige, incita l'éniripsa. J'ai étudié la fleur et je pense que c'était une fleur de Wakfuli, une espèce éteinte depuis l'aube des temps. Et en plus, regarde!»
Miss Étincelle posa la fleur de cristal dans sa main en laissant pendre la chaînette. Elle ferma ses yeux superbes pour mieux se concentrer. La représentation de la plante se mit à léviter lentement puis se stabilisa à une quinzaine de centimètres de la paume gantée. Elle commença ensuite à tournoyer dans le sens antihoraire.
«Laisse-toi entraîner par le calme de ce joyau... Là... Ça va mieux?
-Vi Mama.
-Alors installe-toi debout là dedans, requit la mère adoptive en battant des cils. Tu sentiras sans doute quelques picotements aux pieds mais il ne faut pas que tu bouges. Ne bouges surtout pas ou c'est fini et ça ne me ferais vraiment pas plaisir! D'accord?»
Le féca acquiesça et entra dans le sarcophage. Les trois scientifiques le refermèrent puis le verrouillèrent en suivant avec une baguette dorée.
«Trois, commença Bahamer.
-Deux, continua Miss Étincelle en rajustant son casque.
-Un, poursuivit Evayn.»
La steameuse acheva le compte à rebours en abaissant un levier couleur sapin;
Les tubes qui emplissaient la pièce se remplirent de milles et unes couleurs bleutées et violettes. Les roues se mirent à tourner, les fluides à se mélanger tandis que la mécanique activa un rayonnement surpuissant provenant du cylindre. Les conduites fourmillaient désormais de multiples teintes blanches qui devenaient noires. Enfin, un grondement sourd qui provenait de toute la pièce et de tous les mécanismes en chaîne eut du mal à rassurer un ancien disciple de féca.
Un sadida comateux se redressa doucement en frottant son front. Son adversaire l'avait écouté puis tué, seul moyen pour lui de se venger de la lourde malédiction offerte généreusement par Kirabi. Toujours ligoté à un tonneau contenant un liquide différent des autres, il ne pouvait pas bouger.
En théorie. Or, Kirabi se sentait libre. Libre de se mouvoir. Libre de se lever. Libre de s'enfuir. Libéré de son corps. De lui, il ne restait qu'un vague spectre transparent et encore tremblant.
Des pas répétés par l'écho de la cave interrompirent ses réflexions. Un crâ venait d'entrer et s'adressait à lui avec sourire sadique. Ce lui qu'il n'avait pas combattu. L'atout de son adversaire.
Une phrase. Une seule phrase. Incroyable à quel point une phrase avait la capacité de tuer avant l'heure :
«Ta forme ectoplasmique ne saurait te sauver»
Une flèche incandescente en plein front confirma l'affirmation en désintégrant le spectre.
Le soleil cédait sa place à sa sœur argentée. Ses derniers rayons rebondissaient entre les multitudes de gouttes d'eau de la canopée nuageuse. Un roublard vêtu de fourrure étonnement semblable aux masses brumeuses - en plus de sa tenue habituelle - qui l'entouraient s'allongea sur une toile de laine blanche.
Iclafipartare s'accorda un brin de repos, serein et détendu.
Le premier depuis sa lancée de pyromane.
Le premier depuis trois ans.
Le premier depuis qu'il avait cambriolé le temple de Roublard.
Le premier depuis qu'il était venu à Amakna.
Le premier depuis qu'un homme caché sous une toge à capuche l'avait engagé.
Le premier depuis que cet homme lui avait donné ses revolvers.
Le premier depuis qu'il avait accepté de semer le chaos et la désolation dans tout Amakna.
Le premier depuis qu'il avait débuté son crescendo apocalyptique.
Le premier depuis qu'il cherchait l'identité de son commanditaire qu'il n'avait jamais revu.
Le premier depuis qu'il se souvenait de sa voix grave, dénouée d'humanité.
Le premier depuis qu'il fuyait entre deux attentas.
Le premier depuis qu'il ne dormait que dans un endroit inaccessible entoure de bombes.
Le premier depuis qu'il cherchait une telle occasion.
Le premier depuis qu'il s'était lié par un pacte dont il ignorait jusqu'au nom mais qui l'engageait.
Il devait se reposer correctement avant de passer à l'action. Avant de finir sa tâche.
Avant de finir Amakna.
Les doux regards soyeux de la lune baignèrent son ballon et sa torpeur.
Peu après pour un continent qui vivait des dernières heures, Iclafipartare se réveilla lentement. Cette nuit de sommeil était sa première vraie nuit depuis une éternité. Il se remémora son petit passage nostalgique de la veille tout en armant ses pistolets. Après tout, toute tâche devait bien se finir à un moment ou à un autre.
Il récupéra dans son Havre-Sac ses ingrédients nécessaires à la fabrication de bombes puis s'y attela.
«Rejoints-moi où tu mourras»
Il se figea. Ces mots venaient de résonner à ses oreilles, quoique plus fruits de son imagination que d'un quelconque son. Et pourtant, ils sonnaient si véridiques…
En secouant sa tête, il se remit au travail. Sous ses mains expertes, le métal se tordait et s’incurvait avant de prendre la forme désirée. Les poudres, les plantes et les minerais se mélangeaient ensuite dedans.
Impossible d'oublier cette voix à la fois imaginaire et réelle. Impossible d'oublier la voix de celui qui l'avait engagé pour un travail d'apparence éternel.
Pourtant, tout devait bien se finir un jour, non?
Page précédentePage suivanteDerniére modification le 13/08/13 é 09:29
Liste des principales mises é jour :
20/07/13 - Fin de ce premier Carnet!