L'Espoir (Partie 1) - Les Carnets 3 abonnés

11. Chapitre 11 : L'amateur de Lezolis8

«Boum! Boum! Boum!»

Wazawa entendait ce son à répétition depuis une demi-journée et son continent n'avait pas tardé à réagir de façon excessive et expresse. Amakna était mise à feu et à sang par une malédiction tout droit venue des cieux. L'énutrof d'habitude avide de minerais travaillés volés, de pierres de Lezoli qu'il défendait corps et âme, de richesses et de contrats ne pouvait que fuir sous le bombardement incessant qui frappait toutes les zones où le soleil était masqué. La place Vent d'Orme ne faisait pas exception à la règle.

Le tocsin résonnait désormais à chaque filin blanc qui passait devant l'astre rougeoyant. Les Amaknéens reniaient leur nationalité, le Gouverneur se cachait, les Gardes s'éclipsaient, les Zaaps s'embouteillaient, les clients fuyaient et les sources de richesse brûlaient. Les dieux avaient de toute évidence choisi de punir le continent pour un péché d'une immoralité inouïe.

«La fin du monde est proche! Fuyez! Fuyez! C'est moi, Hisc-Naicha, élu de la Grande Chope qui vous le dit, fuyez!
-Ta gueule!»

Le légendaire tueur à gage venait d'insulter le pandawa prophétisant la Fin tout en lui expédiant une Pelle dans les côtés et restait sourd aux agonisantes supplications de l'enjôleur. Ces rats profiteurs de misère s'étaient multipliés en seulement une demi-journée. De partout ces truands se levaient et se prétendaient héritier des dieux ou d'une antique lignée afin de rassembler des pigeons qui croient en leurs balivernes. L'adorateur de pierres de Lezolis les corrigeaient tous, ou du moins tous ceux qui avaient le malheur de le croiser. Car la tâche était loin d'être aisée. En fait, elle était vouée à l'échec. Cependant, quarante-huit maraudeurs occis (et, depuis la fin brutale des râles d'agonie, quarante-neuf) n'était pas un score si déplaisant surtout en six heures seulement.

L'énutrof aux yeux châtains n'avait pas quitté Amakna avec ses confrères lors de ce que certains surnommaient d'ors et "La Grande Explosion". Un commanditaire inconnu mais tout puissant l'avait engagé comme simple messager. Lui, Wazawa, messager! Si cela se savait, adieu son avenir si radieux dans le crime - si toutefois on peut parler d'avenir pour un vieillard de soixante-douze ans; bien que les énutrofs aient une belle longévité.

Il ne regrettait pourtant pas son choix. C'était la meilleure offre. Il restait en vie.

«Alerte! Alerte!»

Un imperceptible voile laiteux commença à glisser devant le soleil, causant ainsi l'ouverture des forts de secours et la débandade des rares passants. Wazawa soupira. Pour s'assurer qu'il ne devrait pas fuir une fois de plus, il leva les yeux vers le ciel clair en s'exposant autant que le pouvait un homme chauve, petit, vieux et vêtu d'habits tout ce qu'il y a de plus banal, à l'exception des doubles poches pleines d'instruments qui siéent tant aux voleurs et aux assassins.

Des bombes commencèrent à pleuvoir. L'énutrof sortit de sa poche du matériel volé à une cible de la classe des steamers. Ce qui n'était qu'un simple brassard fait d'un métal de couleur émeraude et serti avec talent de saphirs se déploya rapidement sur toute la main en coulant comme un fluide pour recouvrit complètement le corps au nez et à la barbe des lois techniques et physiques universelles. Décidément, l'assassinat du Vice-Régent des disciples d'Octapodas ne cessera jamais de lui rendre service.

Un mécanisme de propulsion à base de minerai de Stasisili se forma pièce par pièce sur son dos. L'armure ne coulait plus, elle se retournait comme des écailles pour former l'appareil élévateur. Le déploiement n'avait pas excédé cinq secondes. Le tueur à gage glissa la main dans son sac à Dédoublement Astral, une sorte de croisement très rare et hors de prix - bien que Wazawa n'avait pas eu à le payer, son antique possesseur ne pouvant plus rien réclamer - entre un Vamprada et un Havre-Sac et en sortit un carquois finement ciselé et un arc magnifiquement travaillé. Du matériel de professionnel, ce qui se faisait le mieux chez les crâ. À l'heure actuelle, son ancien propriétaire crâ moisissait six pieds sous terre.

Wazawa envoya une balise de sa composition au-dessus de lui puis tira dessus avec l'armure à Stasisili. Le tir se répercuta dans la balise vers plusieurs directions pour former une cloche protectrice. Il passa son propulseur en automatique et scanna le ciel grâce à son joyau de la technologie des Steamers.

Son instinct de professionnel le poussa à aller dire deux mots au bombardier. Le tueur à gages monta vers les nuages abrité de la pluie meurtrière.

Brâkmar, capitale mondiale des arnaques et des vices. La ville maudite. Le royaume des meurtres. Celle qui ne connaît jamais la paix. Celle qui ne la connu jamais. Celle qui ne la connaitra jamais. Celle joue avec la vie. Et tant d'autres appellations.

Jadis, un misérable auteur au talents si contemplés, à la destinée fut liée aux feuilles d'automnes, ayant longuement étudiait les rayons et les ombres de la misère, surnommé l'Homme qui rit, écrivit ces lignes qui intègrent son nom à la légende des siècles :

"Le sol social est partout miné, tantôt pour le bien, tantôt pour le mal. [...]. Il y a un point où l’approfondissement est de l’ensevelissement, et où la lumière s’éteint. [...]. Au-dessous de toutes ces galeries, au-dessous de tout cet immense système veineux souterrain du progrès et de l’utopie, bien plus avant dans la terre, plus bas que Dathura, plus bas qu'Ogrest, plus bas, beaucoup plus bas, il y a la dernière sape.

Lieu formidable. C’est la fosse des ténèbres. C’est la cave des aveugles et des vices. Brâkmar.

Ce lieu communique aux abîmes."

Quoi d'étonnant alors que ce soit sous cette Infamie que fut découvert le moyen de violer l'intimité et la nature la plus profonde des êtres pensants :

«Oui, ce mécanisme permet d'influer sur ce qu'est un être au plus profond de lui, acquiesça Miss Étincelle. Nous sommes en mesure de manipuler ce que le peuple appelle "l'âme" ou pour être plus précis, l'Empreinte.
-Mais les possibilités sont infinies, s'exclama le Chef des Gardes.
-Ou presque. Ce système en est encore à ses débuts et nous ne l'avons pas encore testé.»

À cet instant précis, Evayn se retourna puis annonça :

«Je crois que l'Empreinte est bonne. La plaque est nette, elle n'a plus qu'à se stabiliser. On devrait la laisser un peu reposer puis on pourra lancer le Transfert.»

Le Chef des Gardes, visiblement mal à l'aise d'être autant intéressé par ces recherches, demanda :

«Mise à part ce "Transfert", qu'avez-vous à proposer.
-Oh, rien de très intéressant pour un Chef des Gardes richissime, répondit Bahamer. Des armes bipolaires surpassant toutes les autres, des artefacts rarissimes, des objets datant d'avant le Grand Cataclysme ayant appartenu à un peuple élu des dieux, des armures capables de stopper presque tous les sortilèges existants, des techniques de camouflages indécelables, des outils d'une résistance inouïe, des restes de Zaaps détruits, des catalyseurs énergétiques et, bien sûr, les connaissances pour lesquels vous êtes venu.
-À quoi pourraient bien servir des restes de Zaap? Qu’entendez-vous par catalyseur?
-Un catalyseur est objet capable d'émettre l'Énergie accumulée dans vos cellules, soit celle qui compose votre Empreinte. Quant aux restes de Zaaps, il suffirait de réunir une arche complète pour pouvoir le réactiver.
-Certes, mais les morceaux de Zaaps ne courent pas dans les rues. Et puis, à quoi bon émettre de l'Énergie puisque nous le faisons en permanence lorsque nous lançons nos sorts?

L'éniripsa se chargea de lui répondre :

«Tout simplement à émaner le Wakfu ou la Stasis à un état si proche de l'état de base qu'ils obtiennent des propriétés hors du commun. Par exemple, en plein jardin sadida, projeter une brume de Stasis aurait des effets... destructeurs.
-Je n'ai qu'à engager un des compatriotes de votre amie, objecta le xélor en désignant Bahamer.
-Certes, pour un steamer mécanique le résultat sera plus ou moins le même. Sauf que, premièrement, un engin mécanique ne peut utiliser un catalyseur puisqu'il n'est pas vivant et n'a donc pas d'Empreinte. Deuxièmement, il y a une différence entre les Forces dont vous êtes imprégné et votre réserve de Wakfu ou de Stasis - pour les rares disciples d'Octapodas encore vivants. Celles qui donnent la puissance des sorts et plus ou moins transformée lors du lancer de sort. Dans plusieurs cas, comme pour la plupart des techniques iops, ce Wakfu ne sort même pas de votre corps. Tandis qu'avec un catalyseur, l'Énergie émise est presque pure et donc bien plus puissante.
-En auriez-vous un sous la main pour une démonstration?

Miss Étincelle sortit à nouveau de sa poche le bijou de cristal. Les anneaux trop infimes pour pouvoir exister formait la chaîne visible uniquement grâce à la lumière qui le traversait et qui se terminait par la fleur de Wakfuli si finement ouvragée qu'on pourrait croire qu'elle était réelle.

«Cet objet est l'un des seuls catalyseurs que nous n'avons pas créés, ces derniers étant un peu moins efficaces. Si j'envoie mon Énergie dans le collier ou dans la fleur où elle se retrouvera de toutes manières, ce joli bijou réagit de façon notoire.»

La fleur de Wakfuli s'éloigna de la paume ouverte sous la combinaison pour se stabiliser à une quinzaine de centimètres de la main en pivotant sur un axe central dans le sens antihoraire. L'éniripsa fit ensuite décrire plusieurs accélérations et des mouvements aussi complexes que variés.

«Ne vous y fiez pas, personne ne le dirige aussi bien que Miss, le rassura Evayn. Nous avons remarqué que la fleur tourne vers la gauche en présence d'une aura à tendance Wakfu et dans le sens inverse pour la Force opposée, la vitesse dépendant de la puissance de l'aura.
-Et donc, vous...»

Bahamer coupa l'invité :

«Excusez-moi, mais la plaque est plus que prête.
-Très bien, se réjouirent les deux autres scientifiques.»

Les trois amies allèrent chercher un appareil cylindrique qu'elles placèrent dans un cylindre semblable à celui qui enterrait le féca déboussolé. Seul le nombre de câbles et de mécanismes différenciaient les deux sarcophages.

Tandis qu'Evayn et sa collègue éniripsa soulevait parallèlement au sol la plaque portant sur elle l'image chargée de l'Empreinte du cobaye, Bahamer la sépara en deux dans le sens horizontal pour obtenir le double de la plaque, quoique moins épais. Elles glissèrent la plaque et son double dans des fentes respectivement situées en haut et en bas du second cylindre. Enfin, elles amenèrent un œuf marron et gluant dans ce cylindre.

Le Chef des Gardes n'en crut pas ses yeux en reconnaissant un œuf de... de...

«Oui, un œuf de Slek, acquiesa Bahamer. La seconde chambre va imprégner l'Empreinte du cobaye dans l'animal en composition.
-Et donc, d'après ce que vous m'avez dit, l'un des deux êtres sera anéanti.
-Exact. Le cobaye, en l'occurrence : sa force vitale et les Énergies dont il est imprégné seront pompées par l'installation et renvoyée dans l'œuf via les plaques qui joueront le rôle de "calque à Empreinte". Étant donné que la nouvelle Empreinte est également renforcée à l'aide des moteurs à Wakfu et Stasis, elle sera plus forte que celle du cobaye.
-Ce qui équivaut à dire que son Empreinte, soit son âme si j'ose parler ainsi, aura été transférée entre son corps d'origine et le Slek, résuma admirativement Rhigalt.»

Miss Étincelle hocha sa magnifique tête tout en offrant au xélor un sourire enivrant.

«À vous l'honneur, fit la crâ en montrant un levier argenté à Rhigalt.

Tandis que Rhigalt enclenchait le mécanisme avancé, un choc métallique poussa Evayn à sortir vérifier se qui se passait hors de la salle.

Un steamer arrogant se moquait de lui en restant indemne sous sa pluie meurtrière. Iclafipartare allait devoir sortir le grand jeu. Fini de s'échauffer. Amakna connaîtra bientôt l'étendue réelle de ses dons. Ce pauvre demeuré surdoué paiera pour son audace. Iclafipartare enfila un casque aussi blanc et laineux qu'un certain Bouftou Céleste qui protégeait entièrement sa tête et s'équipa du reste de la panoplie. L'arrogant était au niveau de la nacelle à présent. Tandis qu'il dégainait ses pistolets, une bombe jaune se matérialisa dans la main gauche du roublard.

«Je te laisse cinq secondes pour fuir! Après, je te tue!»

L'être en armure répliqua du tac au tac :

«Quelle conneries... Tu me dis quelque chose. On se serait pas déjà vu?
-Peut-être. Fin du compte à rebours.»

La bombe s'envola de la main du roublard pour foncer sur la balise qui servait de parapluie. Un nuage souffre s'en dégagea. Au contact du bouclier de Stasis, il s'enflamma. Le steamer fit mine de tirer une flèche à l'aide de son arc fraichement bandé.

L'arc sembla familier au roublard. Sans se soucier de ce détail, il tira trois coups sur la balise. Au même moment, la flèche quitta l'arc. Un trait gelé frôla le bras gauche du pyromane. Iclafipartare projeta une dizaine de dagues sur son adversaire à l'instant précis où la balise explosait sous les effets combinés du nuage incandescent et des tirs. Des traits de Stasis désintégrèrent les dagues.

Les deux adversaires sourirent. Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas rencontré de vrais adversaires.