"Quand tu m'avais dit abandonné, je ne m'attendais pas à ÇA!"
Odo Fumio se trouvait en face d'un immeuble délabré par le temps. Le ciel était gris, ce qui ne faisait qu'ajouter encore plus de morosité dans l'ambiance presque glauque de l'endroit. C'était quasiment un dépotoir, avec seulement 3 ou 4 appartements debout. Les rues étaient impraticables, le détective avait dû se déplacer à pied. Il n'y avait pas l'ombre d'un chat.
"Tu es sûr que c'est ici, Charles? demanda Fumio.
- J'était tout aussi surpris que vous pouvez l'être présentement, monsieur, répondit la voix dans l'oreillette. Mais c'est bien ci que Gendiki habite, je confirme.
- C'est assez lugubre...
- Vous êtes sûr que vous voulez y aller seul? On pourrait demander à la police pour nous aider à procéder à l'arrestation.
- Mon but n'est pas de l'arrêter, mais de l'interroger. La police ne sera qu'un obstacle. Je n'ai pas vraiment le choix: ça fait des années que je suis à la recherche de la vérité, et juste quand j'aurais pu trouver réponses à mes questions, il y a Renée qui s'interpose et m'empêche de questionner les jeunes.
- Toujours pas de chance avec cette femme? J'ai toujours trouvé que le sexe féminin était plein de mystères...
- Et celle-là plus que tout! confirma Odo. Il ne me reste plus qu'à aller interroger ce sois-disant mort de Gendiki.
- Bonne chance monsieur, lui souhaita Charles.
- Vous, reposez-vous. Ça fait deux jours que vous ne dormez pas. Vous avez bien travaillé.
- Bien monsieur.
- Et cessez de m'appeler monsieur, à la fin!
- D'accord monsieur. Je m'y efforcerai, monsieur. C'est vous qui décidez, monsieur."
Et il raccrocha. L'inspecteur rangea son appareil, et sortit son pistolet.
"Mais il fait exprès ou quoi?"
D'un pas décidé, il se dirigea vers le bâtiment, l'arme au poing.
___
"Police! Plus un geste!"
Défonçant la porte d'un coup de pied, Fumio entra en trombe dans l'appartement, le doigt pressé sur la détente de son revolver, prêt à faire feu à tout moment. Il regarda rapidement autour de lui. Personne. Il baissa alors sa garde, et souffla un peu. Le détective avança lentement, et se heurta soudain à un petit objet qui était accroché au plafond. Il regarda de plus près. C'était un crucifix.
À sa grande surprise, il remarqua que la pièce était parsemée de crucifix Son cœur fit un bond. Il y en avait partout, sur les murs comme sur le plafond. Jamais Odo Fumio n'en avait vu autant au même endroit, même dans une église! "Brr... Pas très sain comme environnement..." pensa-t-il.
Il entreprit donc d'explorer la pièce à la loupe. Sans compter les croix, c'était un endroit tout à fait normal. Enfin, normal pour quelqu'un qui n'aime pas se ramasser. Le plancher était empli de déchets, de vêtements sales et d'autres cochonneries inutiles. Une vrai porcherie! Gendiki ne devait pas faire le ménage souvent! Le détective continua son inspection, retournant de temps en temps des objets, et en en évitant certains. Il manqua de trébucher plus d'une fois.
Odo entra ensuite dans ce qui semblait être le salon. L'endroit était légèrement plus ordonné. Il y avait un foyer sur le mur sud de la pièce, qui eût tôt fait d'attirer son attention. Sur l'étagère se trouvaient une série de photos, encadrés par des cadres faits à la main. Des bouquets de fleurs étaient disposés autours de ces photographies. Intrigué, l'inspecteur examina les photos. Sur l'une d'elles, on pouvait voir Gendiki, qui passait son bras derrière l'épaule d'une jeune femme, qui portait un immense tissus qui lui servait de masque. Elle portait un habit... assez rustique, avec des têtes de mort un peu sur tous les morceaux de vêtement. Sur toutes les photos, cette femme mystérieuse apparaissait. De toute évidence, elle devait être très proche de Gendiki.
Sur toutes les photos, cette femme mystérieuse apparaissait
L'inspecteur Fumio se retourna. Sur les sofas, des dizaines d'enveloppes blanches s'entassaient les unes sur les autres. "Des courriers non-envoyés" se dit-il. Il s'empressa de lire le nom du destinataire. "Isaure Dhaliwal, lu-t-il. Sûrement la dame sur les photos. Mais qu'est-ce qu'il peut bien vouloir lui envoyer...?" Il déchira délicatement l'enveloppe. Comme il s'apprêtait à lire la lettre, une voix se fit entendre dans son dos.
"Qu'est-ce que vous faites chez moi?"
Par réflexe, Odo se tourna, le canon de son pistolet pointé sur celui qui venait d'entrer.
Du haut des escaliers, Gendiki le regardait, impassible.
___
Le sacrieur s'assit sur l'un des divans devant le foyer, ignorant totalement le détective, qui s'était distancé du criminel, le doigt toujours sur la détente. Il s'attendait à se faire agresser, mais Gendiki ne fit même pas mine de vouloir l'attaquer. Intrigué, Odo Fumio baissa son arme. L'homme devant lui ne deignait même pas de lui adresser un regard, les yeux fixés sur le foyer.
"Euh... Gendiki? demanda Fumio. Je viens pour...
- Tu es Odo Fumio, n'est-ce pas? Celui qui nous a envoyé en prison?
"C'est presque insultant" se dit l'inspecteur face à l'indifférence du sacrieur.
- Oui, c'est moi, répondit-il.
- Comment m'as-tu retrouvé?
- Eh, c'est moi qui pose les questions! cria Odo approchant son pistolet de la tête du criminel. Ne joue pas au plus fin avec moi!"
Gendiki soupira. De toute évidence, il n'avait ni envie de se battre, ni même d'essayer de s'enfuir. Odo Fumio continua:
"On m'a dit que tu étais mort suite à une rafale de mitrailleuse. Explique-toi!
- C'est pourtant simple, non? Je ne suis pas mort, c'est tout! C'est pas des petites balles qui peuvent venir à bout de moi!
- ... O-kay... Et tu es un quoi? Iop, enutrof, ou ecaflip? Crâ peut-être?"
Le sacrieur le regarda enfin. Il semblait surpris, et triste en même temps.
"Oublie ces mots. Arrête ton enquête, dit Gendiki en le regardant droit dans les yeux.
- C'est une blague?
- Je suis sérieux.
- Pourquoi je devrais te faire confiance, toi, un criminel endurci?
- Parce qu'à trop savoir, tu vas en mourir. C'est dangereux pour quelqu'un comme toi.
- La moitié de ma vie se résume à la recherche de la vérité, renchérit le détective. Le danger ne me fait pas peur.
- À ton aise.
L'inspecteur Fumio pointa les portraits.
- Je l'ai reconnu, cette fille. Isaure Dhaliwal faisait parti de votre groupe, un trio, à l'époque. Ça s'appelait la Rénégation, je me trompe? Dis-moi où elle se trouve en ce moment! Et ton autre acolyte, tout de suite!
- Isaure n'est plus de ce monde depuis presque 2 ans déjà."
Le détective ne sût quoi dire. Il était sous le choc devant cette nouvelle des plus inusitées.
"Mais... et les lettres?...
- Je n'ai pas le droit d'écrire pour mon bon plaisir?
Odo cherchait dans son regard et ses paroles un soupçon de mensonge, mais il dut bien vite se rendre à l'évidence: Gendiki ne mentait pas, et semblait même bouleversé.
Odo cherchait dans son regard et ses paroles un soupçon de mensonge
- C'était ma fiancée, Odo. Elle s'est fait égorger par derrière pendant notre évasion, mais ça, tu le savais, non?
- Je... j'avais oublié... Je suis désolé pour elle. Et l'autre?
- Une balle à la tête, ça ne pardonne pas, même pour Cyrano. Il a dû se désincarner sur les rochers en bas de la falaise...
- Désincarner?"
Gendiki se leva. Il regarda sévèrement le détective.
"Odo, j'ai beaucoup de respect pour toi. Mais depuis la mort d'Isaure, je ne suis plus le même. J'ai beaucoup de cœur, comme tu peux le voir. J'ai toujours considéré que sa mort était en partie de ta faute. Alors, s'il te plaît, va-t-en avant que je ne change d'avis et que je te tue.
- Mais...
- PARS!"
Fumio ne se le fit pas dire deux fois. Il rangea son arme, et s'inclina devant la requête de son hôte. Alors qu'il allait franchir le palier, la voix de Gendiki se fit à nouveau entendre.
"Attend.
Il avait parlé calmement, sans aucune colère dans le ton.
- Chez nous, son dieu l'aurait accueilli en héroïne, continua-t-il. Elle aurait vécu la vie qu'elle aurait toujours espérée, dans l'au-delà. Mais ici... ici, elle est une criminelle, Odo."
Ce dernier comprit, comme une lumière dans son esprit qui s'alluma. Il comprit pourquoi il y avait des crucifix partout. Il comprit la profondeur de la tristesse dans le regard du voyou, jadis si dur.
"Tu crois que votre dieu la pardonnera, Odo? demanda le sacrieur.
- J'en suis persuadé... répondit le détective.
- Merci, tu me rassures."
La porte se ferma, et Gendiki se retrouva seul. Une larme coula de son œil sans pupille.
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